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religion, M. Bebel l’invoque pour la justification du socialisme. La doctrine de l’évolution, tout particulièrement, explique à ses yeux l’avènement de l’état communiste. Si dans le monde organique une espèce plus parfaite dérive, par une transformation naturelle, d’une espèce antérieure moins bien douée, dans l’humanité, la société communiste, dont tous les membres doivent jouir d’avantages supérieurs, remplacera les états sociaux caractérisés par l’inégalité des conditions d’existence. Darwinisme et socialisme deviennent ainsi deux théories inséparables, en harmonie l’une avec l’autre, le professeur Virchow l’affirme avec M. Bebel. Mais, remarque ce dernier, en constatant, au nom des socialistes, que « toute la science moderne travaille pour nous, » s’il en est ainsi, « alors les sciences naturelles modernes rentrent également dans la catégorie des visées dangereuses pour la société et qui tendent à miner l’état : la conséquence logique serait de les interdire au même titre que les doctrines communistes. »

Non sans raison, les députés socialistes soutenaient et soutiennent encore que les doctrines matérialistes ne présentent pas plus de danger dans leur bouche que dans les écrits de leurs maîtres. Tolérer ceux-ci, quand la loi d’exception interdit la propagande de ceux-là, dénote une contradiction inconciliable avec les principes du droit et de la justice distributive. L’inégalité de traitement et des persécutions imméritées aigrissent toujours les caractères et les poussent souvent aux résolutions extrêmes.

Tous les promoteurs du socialisme ne sont peut-être pas convaincus que leur système soit réalisable. Mais il y a parmi eux des croyans sincères. Tel est M. Bebel, tel le docteur Liebknecht. Avant sa rencontre avec Liebknecht. avant d’avoir connu Lassalle, M. Bebel était bien engagé dans le mouvement ouvrier, mais il ne savait pas au juste ce qu’il voulait, sinon l’amélioration du sort des travailleurs. Simple maître tourneur, élevé dans une école de village, intelligent, bien doué, sans prétention, il a complété son instruction dans les cours d’adultes suivis durant son tour d’Allemagne comme ouvrier. Une élocution facile, unie à un esprit pénétrant, lui ont acquis une grande popularité comme orateur. Le docteur Liebknecht, disciple de Karl Marx, venu à Leipzig, après avoir été expulsé de Berlin, s’y lia avec M. Bebel. C’est un fanatique, avec les bons et les mauvais côtés de l’espèce, personnellement honorable, correct dans sa vie privée, ne pauvre et resté pauvre, content de peu, quand il peut vivre de son idée, dédaigneux des profits matériels susceptibles de le détourner de sa voie. Pourvu d’un diplôme universitaire, il a eu une instruction première plus soignée que celle du tourneur Bebel. La pensée honnête