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de M. Bebel, le comité dont il était membre commença par refuser les offres de subventions de l’état. Quelques mois plus tard seulement, après la création de l’Allgemeine deutsche Arbeiterverein, sous l’impulsion de Ferdinand Lassalle, la question des associations coopératives de production subventionnées revint à l’ordre du jour, avec l’agitation pour la concession du suffrage universel. Le mouvement ouvrier prit, à partir de ce moment, un nouvel essor et un développement qui n’a cessé de s’étendre depuis.

Une partie des assertions sur l’immixtion du gouvernement prussien dans le mouvement ouvrier, pour en tirer parti dans l’intérêt de la politique unitaire et pour la constitution de l’unité nationale de l’Allemagne, a été contestée par le chancelier de rempire dans sa réplique au député socialiste. Néanmoins, tout en se défendant d’avoir jamais été en rapport avec un socialiste quelconque, le prince de Bismarck reconnut ses relations avec Lassalle et ses vues sur l’utilité d’un essai d’association coopérative dotée par l’état. A l’entendre, Lassalle était un des hommes les plus spirituels et les plus aimables avec lesquels il ait jamais été en rapport, un homme ambitieux dans la bonne acception du mot, mais nullement républicain. « Il avait un sens national et monarchique très prononcé; l’idéal auquel il aspirait était la constitution de l’empire allemand, en quoi nous avions un point de contact. Au contraire, ces misérables épigones, qui se mesurent à lui maintenant, il leur aurait lancé un quos ego ; il les aurait rejetés avec dédain dans leur néant et les aurait mis hors d’état d’abuser de son nom. Oui, Lassalle était un homme énergique, intelligent, avec lequel il y avait intérêt à causer : nos entretiens se sont prolongés pendant des heures et j’ai toujours regretté de les voir finir. » En ce qui concerne les subventions de l’état aux sociétés coopératives de production, le prince de Bismarck avoua s’en être entretenu dans ces causeries avec le promoteur de l’association générale des ouvriers allemands. « Encore aujourd’hui, ajouta-t-il, je ne crois pas que ce fût là chose inutile. Je ne sais si ç’a été par suite des raisonnemens de Lassalle ou sous l’effet de ma propre expérience pendant mon séjour en Angleterre; mais j’ai toujours pensé qu’avec une organisation des sociétés coopératives, comme elles fonctionnent en Angleterre, on pourrait sérieusement améliorer la condition des travailleurs. J’en ai conféré avec Sa Majesté, qui s’intéresse beaucoup aux classes ouvrières et a pour elles une sollicitude innée. Or le roi donna alors sur sa cassette particulière une certaine somme pour tenter l’expérience avec une députation d’ouvriers que des divergences de vues avec leurs patrons avaient privés de pain. La somme accordée s’élevait à 6,000 ou 7.000 thalers: pour un essai en grand, il pourrait bien falloir 100 millions.