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du parti. Une majorité de 221 voix contre 149 se prononça, en définitive, pour la loi d’exception proclamée le 21 octobre 1878 après de longs débats, dans le cours desquels le Reichstag examina la question sociale sous toutes ses faces. Outre les libéraux progressistes, les représentant des partis qui avaient à souffrir de mesures d’exception, le contre catholique, les Polonais, les Alsaciens-Lorrains, votèrent naturellement contre cette loi.

Lors de la présentation du premier projet, les démocrates socialistes s’étaient abstenus de la discussion. Un des chefs se borna à donner lecture, au nom du parti, d’une courte déclaration pour qualifier la loi d’exception d’attentat sans exemple contre la liberté, dont les socialistes envisageaient les effets avec le calme inébranlable que donne la conscience d’une cause invincible. Invincible, le socialisme le paraît encore après dix années d’efforts violens pour l’étouffer, résistant aux mesures de rigueur prises contre lui, comme aux tentatives et aux essais du gouvernement allemand pour améliorer le sort des ouvriers. C’est que le mal est de nature morale, plus profond que s’il avait seulement ses racines dans des conditions économiques défectueuses, susceptibles d’être corrigées par la législation. La législation peut améliorer les conditions du travail pour l’ouvrier, et la police peut punir les actes contraires à ses ordonnances ; ni l’une ni l’autre n’a le pouvoir d’apaiser des esprits aigris et pervertis, de réconcilier des classes sociales divisées par des intérêts contraires, que leurs convoitises poussent à s’arracher de force la jouissance des biens matériels, sans croire à une justice réparatrice, sans espérance d’un monde meilleur, sans religion en un mot. Or, le ministre d’état, M. de Hofmann, en motivant au Reichstag le projet de loi contre le socialisme, attribuait à l’église la tâche de combattre les idées socialistes par les moyens intellectuels. Les orateurs conservateurs et les orateurs catholiques de l’assemblée se sont prononcés dans le même sens, ceux-ci en affirmant l’influence unique de la religion, ceux-là en invoquant le concours réciproque de l’état et de l’église. Mais les apôtres du socialisme rejettent l’autorité de l’église au même titre que les droits de la police. Les socialistes proclament l’athéisme et nient la religion. Au moment même où. le gouvernement impérial engageait la lutte contre le socialisme, le député Most et la femme Hahn prêchaient aux ouvriers de Berlin l’abandon en masse de l’église nationale. En Prusse, l’église nationale, c’est l’église protestante, qui a le roi pour chef suprême. L’église catholique, dont le chef de l’état réclamait aussi l’action morale, était alors elle-même en lutte avec le gouvernement pour se débarrasser des entraves mises à sa liberté sous le régime du Culturkampf.