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indolente de créole, passait la journée à tirer les cartes en cachette, quand elle ne pleurait pas.

Aux Carmes, les hommes étaient séparés des femmes. Cependant, à certaines heures de la journée, tous les prisonniers étaient autorisés à se réunir dans le préau. Les relations sociales s’y nouaient comme, dans un salon ; on s’y faisait présenter.

Dans ses Mémoires[1], écrits longtemps après les événemens, et avec des souvenirs effacés, Mme Elliott par le de ce monde de charmantes femmes qui supportaient le malheur avec une bonne humeur dédaigneuse. Les renseignemens qu’elle fournit ne sont pas toujours précis, et souvent les faits les plus positifs les contredisent. Arrêtée par suite de son intimité avec le duc d’Orléans, et enfermée d’abord aux Récollets, à Versailles », elle avait été, après six semaines de détention, transférée aux Carmes ; elle s’y lia plus particulièrement avec Joséphine de Beauharnais. Mme Elliott affirme que Mme de Custine et son mari étaient arrêtés et enfermés ensemble lorsque ce dernier fut condamné par le tribunal révolutionnaire. Elle ajoute qu’elle n’avait jamais vu une scène plus déchirante que le moment de la séparation du jeune couple. « Je crus un moment que Mme de Custine allait se briser la tête contre les murs, Mme de Beauharnais et moi, nous ne la quittâmes pas de trois jours et de trois nuits ; mais elle était jeune, pleine d’imagination ; elle était Française, et, au bout de six semaines, elle avait repris courage. »

Tout est faux dans ces quelques lignes. François-Philippe de Custine avait été arrêté avant sa femme. Il avait été conduit à la Force et non aux Carmes. C’est à la Conciergerie qu’eurent lieu leurs adieux à la veille de l’exécution. Comment, des lors, ajouter foi au roman dont Alexandre de Beauharnais, d’après Mme Elliott, aurait été le héros ? Il était séparé depuis plusieurs années de Joséphine lorsqu’il fut enfermé aux Carmes. « Sa femme et lui parurent assez embarrassés de cette circonstance ; mais, en peu d’heures, ils furent complètement réconciliés. On leur donna un petit cabinet a deux lits pour y coucher. Le jour de l’entrée de Beauharnais fut fort triste pour cette charmante petite Mme de Custine, car ce jour-là même son mari, très beau jeune homme, fils du général, fut mené au tribunal et jugé. On l’exécuta le lendemain. »

Il y a encore dans ce récit presque autant d’inexactitudes que de mots.

« Cette pauvre Mme de Beauharnais, qui paraissait vraiment très attachée à son mari, devient très malheureuse. Pourquoi ? Beauharnais était plus amoureux que je ne saurais le dire de Mme de

  1. Mémoires de Mme Elliott.