C’était Chauveau-Lagarde qui défendait le jeune Custine. Il releva les derniers mots du président et témoigna sa surprise d’avoir entendu de semblables expressions. « Quel est le tribunal au monde où l’on oserait se permettre de condamner un accusé sur des présomptions pareilles ? Quoi ! il est contraire à la nature des choses qu’un fils ne soit pas complice de son père ? Quelle jurisprudence ! J’irai plus loin ; et quand même l’accusé aurait été instruit des desseins d’un père coupable, je le demande ici : un fils doit-il dénoncer son père ? Où serait donc la pitié filiale, la première des vertus ? Où seraient les mœurs qu’on cherche à régénérer ? »
Le jugement fut rendu le 3 janvier 1794.
François-Philippe de Custine était condamné à mort, « comme s’étant depuis longtemps associé au système de trahisons formées par un tyran perfide et ses infâmes ministres, avec les cours de Vienne et de Berlin, contre la liberté française et la souveraineté nationale, et comme s’étant rendu le complice de conspirations tramées par son père avec le traître Du mouriez, et à la faveur desquelles Mayence, Condé, Valenciennes avaient été livrées aux despotes coalisés contre la France. » Le jugement, à la diligente de l’accusateur public, devait être exécuté dans les vingt-quatre heures, sur la place de la Révolution.
Au moment où Dumas lut la sentence, l’auditoire témoigna sensiblement sa surprise et sa douleur. Le jeune Custine entendit son arrêt de mort sans faiblesse. Il haussa les épaules et ne dit pas un mot. Il sortit avec le même air calme et résolu qu’il avait montré en comparaissant devant le tribunal révolutionnaire.
Il n’avait pas voulu que sa femme l’assistât pendant ces douloureux débuts. Sa vue, ses larmes eussent peut-être affaibli son sang-froid et son courage, mais Delphine avait obtenu de lui dire adieu à la Conciergerie[1].
Elle s’approcha de lui sans cris, l’embrassa en silence et s’assit les bras autour de son cou. L’entrevue dura trois heures. Peu de paroles furent échangées. Le nom seul de leur fils fut prononcé plusieurs fois. Les lettres de ce fils nous apprennent que ces adieux émouvans furent troublés par une circonstance étrange, dont nous reproduisons le récit sans commentaires.
« Ma mère, craignant de se trouver mal, allait se lever et se retirer. Le condamné l’avait reçue dans une salle qui servait d’entrée à plusieurs chambres de la prison. Tout à coup, on entend ouvrir une petite porte : un homme sort, une lanterne sourde à la main. Cet homme, bizarrement costumé, était un prisonnier qui allait en
- ↑ A. de Custine, la Russie en 1839, lettre II.