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la Custine ! c’est la fille du traître ! » Chaque mot était assaisonné d’injures et de blasphèmes. Le danger croissait, des sabres nus se dressaient déjà sur elle : une faiblesse, un faux pas, et c’en était fait. Elle a raconté qu’elle se mordait les mains et la langue jusqu’au sang, afin de combattre la pâleur.

Désespérée, elle jette une dernière fois les yeux autour d’elle. Une femme du peuple s’avançait portant un nourrisson dans ses bras. Mme de Custine va brusquement à cette mère et lui dit : « Quel joli enfant vous avez là ! — Prenez-le vite, » répond à voix basse la mère, qui comprend tout d’un mot et d’un regard. Mlle de Custine prend l’enfant dans ses bras, l’embrasse, et les tricoteuses ébahies s’arrêtent. L’enfant la protégeait.

Mme de Custine traverse ainsi la cour du Palais de Justice, se dirige vers la place Dauphine, sans être frappée ni injuriée, ayant toujours son précieux fardeau dans les bras. Elle arrive au Pont-Neuf, rend l’enfant à celle qui le lui a prêtée. Puis, à l’instant, les deux femmes s’éloignent sans se dire un seul mot.

Tel est le récit que fait Astolphe de Custine, d’après les souvenirs de sa mère.

Ainsi, miraculeusement sauvée, elle ne put sauver son beau-père. Ou n’attend pas de nous que nous reproduisions les dépositions des témoins entendus par le tribunal révolutionnaire. Les Archives nationales et le Bulletin du tribunal criminel ont été analysés par les historiens. Des fautes tournées en crimes et des échecs en trahisons, des juges incompétens transformés eux-mêmes en stratégistes et discutant des plans de campagne ; le capucin Chabot s’écriant en pleine séance de la Convention : « Quel est l’homme qui peut douter que Custine soit coupable ? Condé, Valenciennes, Mayence, ne déposent-elles pas contre lui ? » Tout le procès est-là ; plus Custine se défendait avec intelligence et confondait ses juges, plus l’irritation de ses ennemis était grande. Nous lisons dans le Bulletin national, no 236 ; « Dimanche, 25 août 1793, le procès de Custine continue d’occuper les esprits. Si Hébert a reproché aux juges de s’être laissé séduire par les beaux yeux de Mme de Custine, belle-fille de l’accusé, les juges pourraient reprocher à Hébert de vouloir influencer leurs opinions, et de mettre quelquefois la sienne au lieu et place de celle du public. »

Les vrais motifs de haine n’avaient-ils pas leur source dans cet aveu de Custine, qu’il avait regardé Marat comme un perturbateur, Robespierre comme un exagéré ? « Quant à Danton[1], à qui je reconnais beaucoup d’esprit et de talent, comme il n’a pas jugé Dumouriez quand il était auprès de lui, et ne l’a pas dénoncé

  1. Interrogatoire de Custine.