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à en apercevoir les fâcheuses conséquences. Ses entours se ressentaient de ses déceptions[1]. Le général de Gerlach n’apparaissait plus que de loin en loin à Sans-Souci ; il redoutait les emportemens de son maître. « Thersis, disait-il à un de ses amis, il faut songer à faire sa retraite ! » Les généraux qui, au nom de la stratégie, prédisaient savamment l’imminence et la certitude de nos désastres, ne souillaient plus mot ; la Gazette de la Croix mettait une sourdine à ses haineuses attaques. À Francfort, il ne fut plus question de neutralité armée. La débandade s’était jetée dans les rangs des confédérés. On ne conférait plus ni à Wurtzbourg ni à Bamberg ; on restait insensible aux mots d’ordre de Pétersbourg, les regards se retournaient vers Paris.

M. de Pfordten s’était laissé devancer aux Tuileries par M. de Bismarck, M. de Dalwigk et M. de Beust, qui, plus avisés, avaient entrevu et escompté la prise de Sébastopol ; il partit à son tour pour Paris. Il fut traité avec la considération due au ministre qui dirigeait la politique de la Bavière, la vieille alliée et protégée du premier empire. Son amour-propre fut largement satisfait, ses correspondances s’en ressentirent. Partout il faisait l’éloge de Napoléon III, il croyait à la solidité de son trône, à sa sagesse, à sa modération. Il ne faisait en cela que traduire le sentiment de tous ceux qui approchaient l’empereur. « Les événemens de la guerre, disait le baron Nothomb, en sortant des Tuileries, ont grandi l’homme dans d’énormes proportions. Il est aujourd’hui l’Empereur pour ses adversaires les plus intraitables, pour ceux qui lui prodiguaient l’injure. »

Le baron de Pfordten, tout Allemand qu’il fût, ne voyait pas sans contentement la France en possession d’un gouvernement fort, conservateur. S’il ne rêvait pas le retour de la Confédération du Rhin, du moins il se flattait que Napoléon III, fidèle aux traditions de la politique française et solidement assis sur son trône, ne permettrait ni à la Prusse ni à l’Autriche de molester les cours allemandes et à plus forte raison de porter atteinte à leur autonomie. Que n’a-t-il vu juste ! Il recueillit cependant, dans son audience, quelques paroles troublantes. L’empereur ne lui avait pas caché que, si au printemps la paix n’était pas conclue, les puissances occidentales continueraient la guerre avec une nouvelle vigueur et de nouveaux alliés, et qu’elles s’efforceraient d’en agrandir le théâtre en faisant appel aux nationalités en Italie et surtout en Pologne, comme dernier moyen de faire sortir l’Autriche de sa neutralité.

  1. « Vers la fin de sa vie, le roi fut sujet à des emportemens ; il n’était plus capable de retenir sa colère. Après chaque accès se produisait une réaction. Il était pris de faiblesse, son corps s’affaissait ; il portait la main à son front mouillé de sueur et son visage avait une expression d’irrémédiable abattement » (Mémoires du duc Ernest de Saxe-Cobourg.)