Deux années se passèrent dans une harmonie complète entre la belle-mère et le petit-gendre. Adorée de ses enfans, chérie de ses amis, protégée de la reine, Mme de Sabran vivait dans la société de la comtesse Diane de Polignac, de Mme d’Andlau, une des filles d’Helvétius. de Mme de La Marck et de celle que Boufflers appelle « la charmante petite Ségur ; » les deux frères Trudaine, les amis de Mme de Beaumont étaient aussi de son monde. Ce milieu intelligent exerçait sur Philippe de Custine et sur Delphine l’influence la plus favorable aux idées nouvelles. Entre les lettrés et les belles dames qui fréquentaient le salon de Mme de Sabran, il n’y avait pas encore de dissidence ; Boufflers y présentait les auteurs en renom. Reçu à l’Académie française, en remplacement de M. de Montazet, archevêque de Lyon, le chevalier, depuis son retour du Sénégal, se consacrait tout entier à ses goûts d’esprit et à son amie. Il s’était singulièrement relevé à tous les yeux, en allant chercher jusqu’au tropique le sérieux qui manquait encore à sa vie. L’auteur Du coeur, en acceptant avec tant de résolution les épreuves, les privations, les souffrances même, pour être digne d’estime, avait fait plus que mériter lu main de Mme de Sabran, il avait donné, dans un siècle frivole, le plus rare exemple d’amour vrai.
Les événemens ne devaient pas réussir à faire de lui un homme politique, tandis que le général de Custine rêvait de son côté un rôle que la fortune se refusait à lui laisser accomplir. Tous les deux venaient d’être élus membres des états-généraux. L’un y était envoyé par la noblesse du bailliage de Nancy, l’autre par la noblesse du bailliage de Metz, qui s’était souvenue que, lors de la guerre d’Amérique, le comte de Custine avait commandé le régiment de Saintonge-Infanterie et s’était distingué à la prise de York-Town.
La différence des deux tempéramens se montra aussitôt. Boufflers eut bien vite assez de son rôle politique. S’il ne se fit pas remarquer à la constituante par son talent et son éloquence, il sut du moins s’y honorer par la sagesse et la modération de sa conduite. Avec Malouet, Virieu, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, il fut un des fondateurs du club des impartiaux ; mais bientôt le découragement s’empara de cette âme molle, peu faite pour la lutte. Il résolut de quitter la France dès que son mandat serait expiré ; il y était, du reste, poussé par son amie.
Après le départ des Polignac, la comtesse de Sabran avait en effet émigré. Les querelles s’étaient introduites dans son intérieur jusque-là