Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disparu, la paix semblait d’autant plus imminente que la France ne demandait qu’à tendre la main à la Russie.

Et cependant la lutte allait continuer de longs mois encore, moins meurtrière sans doute, mais persistante, avant que la Russie paralysée dans son commerce, épuisée d’hommes et d’argent, voulût se résigner à mettre bas les armes. Un grand pays ne renonce pas facilement à ses desseins séculaires; il fait appel à toutes ses ressources, il combat jusqu’à la dernière extrémité, — la France l’a prouvé en 1871, — avant de courber son orgueil sous le niveau de la défaite.

A Berlin, on félicita la France, mais on affecta d’ignorer l’Angleterre. Lord Clarendon ne s’en serait pas plaint s’il s’était souvenu du langage cassant que ses diplomates, lord Bloomfield et lord Loftus, tenaient au baron de Manteuffel et qu’il avait tenu lui-même à M. de Bunsen et à M. de Bernsdorf son successeur.

A Vienne, on y mit moins de promptitude; l’empereur, il est vrai, était à Ischlel M. de Buol à la campagne. Le baron de Hubner ne se présenta que tardivement aux Tuileries pour apporter les complimens de sa cour. L’Autriche, d’après le dicton, était toujours en retard d’une année et d’une armée. Cette fois, en venant bien après la Prusse, elle ne voulait pas aggraver ses torts envers la Russie en célébrant ses revers par d’éclatantes et de hâtives félicitations. M. de Buol priait en effet M. de Bourqueney de ne pas donner une publicité trop retentissante à une démarche intime confidentielle. Il justifiait le reproche que lui adressait M. de Bismark : il faisait « de la politique enfantine. »

L’Allemagne avait assisté à toutes les péripéties de la guerre, perplexe, indécise ; elle avait décliné la part d’action qui lui revenait, elle s’était bornée à formuler des vœux pour la paix, elle avait suivi la voie la moins propre pour la rendre facile et rapide. Elle avait pris pour un signe de force ce qui n’était qu’une neutralité flottante, équivoque: elle aspirait à la médiation sans avoir rien fait pour la justifier. M. de Manteuffel offrait ses bons offices à Paris el à Londres ; il s’efforçait de pressentir nos conditions pour les appuyer à Pétersbourg. A Vienne, en revanche, il proposait une intervention diplomatique de compte à demi avec l’Autriche, qui aurait pu se transformer en médiation, et permettre à l’Allemagne déjouer un rôle important dans les négociations. Mais il était éconduit aimablement par le comte Walewski, rudement par lord Clarendon, dédaigneusement par le comte de Buol. Il arrivait comme l’ouvrier de la dernière heure pour participer à la gloire sans avoir été à la peine. Le roi ne se consolait pas d’être tenu à l’écart; il était amer pour ceux qui avaient conseillé la politique d’abstention; il commençait