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Et elle se met à lire les lettres d’Héloïse et d’Abélard ; cependant, elle a mille fois plus de soucis qu’elle n’en peut porter. Si ses sympathies ne vont pas au beau-père, elle se sent prête, en revanche, à aimer le petit-gendre comme son enfant, et elle le croit digne de sa tendresse maternelle.

Les conditions du contrat sont indiquées dans une lettre du 20 juillet. Mme de Sabran donnait à sa fille 200,000 livres de dot. Les 34,000 livres de rentes que devait apporter M. de Custine furent réduites à 28,000, par suite de charges diverses et par un emprunt que nécessitèrent les frais du mariage. Mme de Sabran gardait avec elle le jeune ménage.

C’est le 22 juillet 1787 qu’eut enfin lieu la signature. « À moins de grands événemens que je ne prévois pas, ma Delphine sera Mme de Custine, en dépit de tout l’enfer conjuré contre elle et contre moi. » Il y avait eu bien des médisances. Le mariage se fit à la campagne, à Anisy, chez l’oncle Mgr de Sabran.

« Je pars dans l’instant pour Anisy[1]… Elle se marie enfin mardi ! »

« Je vais me coucher bien vite pour arriver le teint frais à la cérémonie, à côté de ma rose à peine éclose, pour ne pas faire tache au tableau ; car je ne dois plus prétendre à parer une fête, mais à ne pas la déparer… L’âme ne vieillit point, et j’ai dans la mienne un foyer d’amour pour l’éternité. Adieu[2] ! »

Quand on pense que six années à peine après ces fêtes, le général de Custine et le jeune mari de Delphine seront guillotinés ; quand on pense à la vie dramatique qu’après quelques mois de bonheur. Mme de Custine va mener, quand on songe que la comtesse de Sabran, aussi ruinée, ira chercher dans l’émigration un asile chez le prince Henri de Prusse et que le brillant chevalier de Boufflers finira ses jours dans une place de bibliothécaire, on s’attarde à reproduire, dans leur expression charmante et naïve, ces dernières joies domestiques et à écouter le récit simple et enjoué de bergeries qui contrastent avec la Terreur.

« Au moment de quitter Paris, il avait pris au jeune de Custine une rage de dents si épouvantable qu’il avait cru ne devoir pas partir sans se faire arracher cette mauvaise dent « qu’il aurait eue contre sa femme le jour de son mariage. Voilà des douleurs, de la tristesse et par-dessus une joue enflée qui faisait un fort vilain effet. Il arrive dans cet équipage avec sa famille contristée… Ma pauvre Delphine n’était guère en meilleure disposition ; la peur lui avait donné le frisson… La nouvelle de l’arrivée la déconcerta tout à fait… Nous passâmes trois heures, dans ce désagréable état,

  1. Lettre du 28 juillet 1787.
  2. Lettre du 29 juillet 1787.