Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/808

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se mit à la recherche de Ben-Allal. On croyait savoir qu’il avait quitté la Yakoubia pour se rapprocher de l’émir à l’ouest. En dépit des chemins défoncés et de la pluie qui tombait par torrens, le général Tempoure força de vitesse, gagna deux marches, et, guidé par des prisonnier djafra, atteignit, le 11 au matin, non loin de Sidi-Yaya, au pied du Djebel-Dlàa, l’ennemi qu’il poursuivait. C’était la fumée de son campement qui l’avait fait découvrir. Aussitôt le général distribua sa cavalerie en trois colonnes de deux escadrons, avec une réserve d’égale force, et lui fit prendre le trot. Averti par le coup de fusil et la clameur d’une vedette, le khalifa n’eut que le temps de faire prendre les armes à ses deux bataillons. Ils marchaient rapidement en colonne serrée, tambour battant, drapeaux en tête, essayant de gagner, sur une colline rocheuse et boisée, une bonne position défensive. Avant d’y avoir pu arriver, ils se virent gagner de vitesse, s’arrêtèrent face aux assaillans et firent ferme. Attaqués de front et par les flancs, ils se défendirent avec courage ; mais, leur instruction militaire étant faible, ils se laissèrent rompre et succombèrent sous les coups de sabre dans une mêlée terrible.

Après avoir lutté jusqu’au bout, Ben-Allal, voyant le désastre irréparable, avait tourné bride. Un officier de spahis, le capitaine Cassaignolles, qui, sans le connaître, l’avait distingué à la richesse de ses vêtemens, se mit à sa poursuite avec un maréchal des logis de son escadron et deux brigadiers de chasseurs. Tout près d’être atteint, sans espoir de salut, résolu à vendre chèrement sa vie, Ben-Allal fit volte-face, tua d’un coup de fusil le brigadier Labossaye, abattit d’un premier coup de pistolet le cheval du capitaine, blessa d’un second le maréchal des logis Siquot qui venait de lui asséner un coup de sabre, et, le yatagan au poing, continuait à se défendre quand le brigadier Gérard termina cette lutte désespérée par un coup de feu qui l’atteignit en pleine poitrine. Il était borgne; ce fut à cet indice qu’on le reconnut. Sa tête fut envoyée, dans un sac de cuir, au général de La Moricière. Le général qui, jadis, en 1839, au temps de la trêve avec Abd-el-Kader, avait entretenu avec lui des relations amicales, ne put contempler sans émotion les traits de ce noble et vaillant adversaire. Le maréchal Bugeaud donna l’ordre que son corps fût inhumé à Koléa, dans le tombeau de ses ancêtres, et qu’on lui rendit les honneurs militaires, tels qu’ils sont dus à la dépouille mortelle d’un officier-général.

Dans ce combat décisif, les réguliers avaient perdu les 2 chefs de bataillon, 18 capitaines, tous tués avec 380 de leurs hommes, 280 prisonniers, dont 13 officiers, 3 drapeaux, des caisses de tambour, 600 fusils, des sabres et des pistolets en quantité, 50 chevaux harnachés et un grand nombre de mulets. C’était la fin des réguliers;