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déjà très embarrassé de ses prises, ne voulut pas accepter le cadeau que lui offrait le colonel ; il lui conseilla de rentrer à Boghar. La colonne y arriva le 11 août et fut dissoute. Sauf un très petit nombre de malingres, elle ne ramena que quatre malades, qui furent menés à l’hôpital de Médéa. Cette première expérience était encourageante ; elle avait prouvé qu’il était désormais possible de pénétrer profondément dans le sud.


V.

Le 3 juillet, le duc d’Aumale avait été nommé lieutenant-général ; le 31, le général Bugeaud fut élevé à la dignité de maréchal de France. À cette haute faveur l’armée d’Afrique ajouta le concours et l’éclat de son applaudissement. Un seul fit exception. Depuis qu’il avait reçu la troisième étoile, Changarnier, dans ses relations avec le gouverneur, s’était montré de plus en plus difficultueux, susceptible, irritable et irritant. Cassant comme le fer aigre, il provoquait la rupture. La rupture se fit ; comment et pourquoi? Voici les pièces de l’enquête : le lecteur jugera.

Écoutons d’abord Changarnier dans ses mémoires. Le premier de ses plus récens griefs se rattache à son expédition chez les Beni-Menacer, dans les premiers jours d’avril : « Notre succès, dit-il, était complet et, à dater de la fin de cette opération demeurée dans la mémoire de l’armée d’Afrique sous le nom de l’expédition des sept colonnes, l’aghalik des Beni-Menacer n’a pas cessé d’être aussi calme, aussi paisible que la Touraine ou le Berri, quand la France n’est pas en état de révolution. Après avoir annoncé tant de fois la soumission d’un pays qui n’avait pas cessé de repousser rudement MM. de Bar, Bisson, Saint-Arnaud et de Ladmirault, Bugeaud ne pouvait se résigner à convenir que j’avais rapidement et définitivement conquis à la France ces ennemis obstinés. Il supprima mon rapport et ne négligea rien pour cacher au public cette courte et heureuse campagne dont tous nos vieux Africains me savent encore gré.

« La volonté de plus en plus caractérisée de Bugeaud d’enlever, autant qu’il le pouvait, aux troupes sous mes ordres et à moi-même le mérite de nos services, m’inspira en cette occasion un mécontentement que je ne lui cachai pas ; mais je ne voulus pas rompre avec lui au moment où je recevais le brevet de lieutenant-général, pour lequel il avait en vain tâché de me faire préférer de Bar ou même Baraguey d’Hilliers, qui, aussi courtisan du pouvoir, quel qu’il soit, que désagréable à ses égaux et brutal pour ses inférieurs, était parvenu, malgré ses fautes dans la province d’Alger, à remplacer à Constantine le général de Négrier, qui avait