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n’avait pas eu part à cette déplorable aventure. Désigné pour succéder à son oncle dans l’exercice de son commandement, mais non dans les conditions exceptionnelles qui lui avaient été faites, El-Mzari fut installé solennellement par le général Thiéry; puis lecture fut donnée au maghzen consterné d’une lettre humiliante de La Moricière : tant que les Douair et les Sméla n’auraient pas recouvré l’honneur, ils n’auraient plus d’autre étendard qu’un lambeau de toile teint en rouge, comme s’il eût été trempé dans le sang de leur agha.

La Moricière comptait bien, d’ailleurs, ne leur faire pas longtemps attendre l’occasion de se réhabiliter. Toujours plus grand que la fortune, l’émir Abd-el-Kader, trois semaines après le désastre de la smala, s’était jeté, le 8 juin, sur les Harar, avait pillé leurs tentes et s’était retiré vers Sebaïn-Aïoun, les soixante-dix fontaines, avec un énorme butin. Accouru à l’appel des Harar éperdus, La Moricière commença par les mettre en sûreté, dans la plaine d’Eghris, sur les terres fertiles qu’avaient abandonnées les Hachem-Cheraga; puis, de retour à Tiaret, il surprit, le 19 juin, dans la haute vallée de l’Oued-Riou, une nombreuse émigration de Flitta, de Beni-Meslem, de Keraïch, qui cherchaient, avec leurs immenses troupeaux, à rejoindre l’émir. Les meilleurs cavaliers de ces tribus, soutenus par un escadron de khiélas et par un petit bataillon de réguliers, couvraient la marche.

Appelés d’Oran à Tiaret par La Moricière, qui leur avait fait un rude accueil, les mghazni marchaient en tête de la colonne française. Impatiens de laver leur honte, ils se jetèrent résolument sur le goum des Beni-Meslem, qui, de son côté, venait à la charge. Du choc, une vingtaine de cavaliers, de pari et d’autre, roulèrent dans la poussière. Bientôt les spahis et les chasseurs d’Afrique entrèrent dans la mêlée ; les défenseurs de l’émigration furent défaits: mais leur résistance avait donné aux protégés le temps de pousser leurs troupeaux dans les ravins, de sorte que la capture des vainqueurs fut médiocre. La colonne émigrante s’était divisée : une partie s’enfuit vers l’est; l’autre rebroussa chemin vers le nord; mais, tombant de mal en pis, elle n’échappait à La Moricière que pour devenir la proie du général Bugeaud.

Du bivouac sur la route de Tenès, où nous l’avons laissé le 23 mai, le gouverneur était allé d’abord visiter les constructions d’El-Esnam, ou plutôt d’Orléansville, car El-Esnam avait perdu son nom arabe; puis, après avoir provoqué, sur les deux rives du Chélif, la soumission des tribus les plus rapprochées du nouveau poste, il avait abordé, de concert avec le général de Bourjolly, successeur du général Gentil à Mostaganem, le massif de l’Ouarensenis, dont il avait résolu d’achever la pacification. Il n’y rencontra pour ainsi dire pas de résistance, même chez les Beni-Ouragh. Le