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pères de toutes les hérésies, et il s’emporte contre ce a misérable Aristote » qui a mis en régie l’art de tromper ; Minucius Félix appelle Socrate « le bouffon d’Athènes, » et traite ses disciples de corrupteurs et de débauches qui font leur propre procès quand ils attaquent les vicieux. Il semble que la conclusion naturelle de ces violences était d’interdire à la jeunesse chrétienne de fréquenter les écoles où l’on apprend ces sciences périlleuses, où on lit, où l’on admire ces livres empoisonnés ; mais aucun docteur de l’église n’a osé le faire. Tertullien lui-même recule devant cette conséquence, et, malgré sa mauvaise humeur, il tolère l’enseignement profane, parce qu’il ne lui paraît pas possible de s’en passer. Saint Augustin ne le tolère pas seulement, il le recommande: « La pratique des études libérales, dit-il dans un de ses Dialogue !, pourvu qu’on la maintienne dans certaines bornes, anime l’esprit, lui donne plus de facilité et plus de force pour atteindre la vérité, fait qu’il la souhaite avec plus d’ardeur, qu’il la cherche avec plus de persévérance, qu’il s’y attache avec plus d’amour. » Et ailleurs: « Si je puis donner un conseil à ceux que j’aime, je leur dirai de ne négliger aucune des connaissances humaines[1]. » Sans doute, l’apôtre a dit : « Prenez garde qu’on ne vous surprenne par la philosophie ; » mais il veut parler de celle qui ne songe qu’aux intérêts de la terre. Il y en a une autre qui se préoccupe du ciel et qui ne mérite pas d’être condamnée. « Prétendre qu’on doit fuir toute espèce de philosophie, ajoute saint Augustin, qu’est-ce autre chose que de dire qu’il ne faut pas aimer la sagesse ? « Il est donc résolu à continuer de l’étudier, et il se donne la tâche, pour le reste de sa vie, de lire avec soin Platon et d’en tirer tout ce qui n’est pas contraire aux enseignemens de l’Évangile. C’est ainsi qu’il pourra se faire une philosophie à la fois profane et chrétienne.

Tel était son dessein, et il a cherché d’abord à le réaliser. Pendant l’année qu’il passa encore en Italie, et au début de son séjour en Afrique, nous le voyons occupé d’écrire des livres de grammaire, de rhétorique, de dialectique, etc., son traité sur la musique, et celui qu’il a intitulé : Du maître. Mais sa vie prenait déjà une autre direction. Dans les dernières lettres qu’il adresse à Nébridios on sont que son ardeur pour les recherches philosophiques n’est plus la même. les livres saints, auxquels il avait tant résisté,

  1. Il est vrai que, dans le livre intitulé les Rétractations, où, à la fin de sa vie, il passe en revue et juge tous ses ouvrage », il trouve qu’en ce passage il est allé trop loin « et qu’il accorde trop d’importance à des sciences que beaucoup de saints personnages ont ignorées. » Cependant, même à ce moment, et quoiqu’il eût beaucoup changé, nous ne le trouvons pas trop sévère pour les ouvrages de sa jeunesse, où la philosophie profane tient tant de place.