Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous la régence d’une princesse étrangère. Victime des événemens, la reine Isabelle Il est toujours restée assez populaire par ses goûts, par son caractère tout espagnol, par sa bonté un peu prodigue, par ses qualités et, si l’on veut, par ses faiblesses. Il en résulte que lorsque, après quelques années d’exil, elle a pu rentrer à Madrid, elle a été entourée, recherchée, fêtée par ses anciens amis qui ne l’avaient jamais oubliée, et par d’autres qui l’avaient combattue autrefois, à qui elle n’a pas gardé rancune. Elle a accueilli tout le monde, elle a même passé assez souvent pour réserver ses faveurs aux libéraux. A-t-elle cédé par instans à des illusions rétrospectives de règne? A-t-elle trop complaisamment écouté ceux qui auraient rêvé pour elle une régence après la mort d’Alphonse XII? A-t-elle voulu exercer une influence ou donner des conseils qui auraient contrarié le gouvernement? On l’a dit, on a même laissé entendre récemment que, dans la prévision de la chute prochaine de M. Sagasta, elle aurait prêté quelque appui à un parti nouveau qui, faute d’un autre nom, s’appelle « réformiste, » dont les chefs sont le général Lopez Dominguez et un ancien collègue de M. Canovas del Castillo, un dissident conservateur devenu un peu radical, M. Romero Robledo. Ce n’était là sans doute qu’une exagération. Toujours est-il qu’il a bien dû y avoir quelque chose, et que, pour une raison ou pour l’autre, la reine Isabelle a été conduite à ne pas prolonger son séjour à Madrid. Elle est partie pour Séville, d’où elle doit revenir en France, — à moins qu’elle n’aille à Rome porter ses hommages au saint-père. Tout s’est passé d’ailleurs au départ avec les apparences de la cordialité entre la reine Isabelle et le gouvernement de la régente.

Ce qui peut menacer le cabinet de M. Sagasta, ce n’est point, en réalité, une intrigue plus ou moins habilement nouée à l’abri du nom de la reine Isabelle. L’intrigue, eût elle existé, ne peut pas être bien sérieuse. Le ministère a sa vraie faiblesse en lui-même, dans sa situation, dans la diversité des élémens qui le composent, dans l’incohérence de la majorité qui le soutient. Toute la question pour le président du conseil, pour M. Sagasta, est de savoir s’il réussira à maintenir une certaine union entre ses collègues comme entre les divers groupes libéraux qui l’ont accepté jusqu’ici pour chef. Tant que les conservateurs, dans un intérêt patriotique et monarchique, lui ont prêté l’appui indirect de leur silence ou même quelquefois d’un vote de raison, il a trouvé une force réelle dans cette neutralité d’un grand parti. Aujourd’hui, ces conservateurs, sans lui déclarer encore ouvertement la guerre, commencent à ne plus se résigner à une trêve indéfinie. Leur chef le plus habile, le plus éloquent, M. Canovas del Castillo, a soulevé récemment la question la plus redoutable pour le ministère, en réclamant des mesures de protection pour l’agriculture et l’industrie, menacées de détresse en Espagne comme partout; il se dispose à combattre quelques-unes des réformes politiques que propose le gouvernement,