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journée, dans cette réunion de jeunes gens dont il était l’âme ! Sans doute on peut croire que, lorsqu’il avait quitté cette jeunesse, qu’il n’était plus préoccupé de lui plaire et de l’instruire, le soir, dans sa chambre, sur ce lit qu’il baignait de ses larmes, il devait avoir d’autres pensées[1]. Mais ce qui est remarquable, c’est qu’en revenant le matin à ces études de grammaire et de philosophie dont il avait pris congé avec tant d’éclat, il ne semble pas le faire de mauvaise grâce. Nulle part il ne laisse entendre que ce sont des occupations vaines ou dangereuses auxquelles il se résigne malgré lui. Au contraire, il paraît y prendre plaisir. Il s’intéresse le premier aux questions qu’il pose à ces jeunes gens, et l’on sent qu’il est fort satisfait d’intervenir dans leurs débats.

Le plaisir qu’il paraît y prendre nous remet dans l’esprit un passage très curieux de ses Confessions. Il y raconte que, quelques années auparavant, avec une dizaine d’amis, tous épris de littérature et de science, il avait eu l’idée de former une sorte d’association, ou, comme nous dirions aujourd’hui, un phalanstère. Ils devaient se réunir loin du monde, dans quelque endroit isolé, et mettre en commun ce qu’ils possédaient. Tous les ans, deux d’entre eux auraient été nommés pour gérer les affaires de la société: les autres, débarrassés des soucis vulgaires, libres et maîtres d’eux-mêmes, n’auraient eu qu’à vivre de la vie de l’esprit, et se seraient livrés sans partage à la méditation et à l’étude. Ce projet, qui souriait beaucoup à saint Augustin, et que des difficultés d’organisation liront alors échouer, il semble l’avoir repris dans la villa de Vérécundus, et peut-être ne s’y trouva-t-il si heureux que parce qu’il y réalisait un rêve de sa jeunesse. Cette retraite, on le voit, était plutôt une communauté de sages qu’un couvent de moines.

Il y passa tout l’hiver, et ne revint à Milan que vers les fêtes de Pâques. C’est là qu’il reçut le baptême, le 25 avril 387, avec Alypius son ami et son fils Adéodatus, des mains de saint Ambroise.

  1. Ces pensées, il les a conservées dans l’ouvrage intitulé : Entretiens avec moi-même (Soliloquia). Ces entretiens nous montre l’autre côté de l’homme. Il faut les lire avec les Dialogues pour connaître saint Augustin tout entier dans la retraite de Cassisiacum.