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il n’est pas moins vrai que, comme le populaire, et sans presque y songer, il dit souvent, avec son inconscience ou son instinct de poète, des choses fortes et profondes. On ne peut pas faire au surplus que les mots ne continuent toujours de représenter des idées, et conséquemment qu’en les associant d’une manière conforme au génie de la langue, mais personnelle, mais nouvelle, mais inattendue, il n’en résulte aussi de nouveaux rapports des idées, ou des rapports inaperçus, et que l’on appellera du nom que l’on voudra, mais qui n’en sont pas moins des acquisitions, et comme telles un enrichissement ou un progrès de la pensée. L’image devient signe à son tour d’autre chose qu’elle-même, le concret se transforme en abstrait, la métaphore se prolonge ou se dilate en idées, et l’imagination, par un secret détour, se retrouve analogue ou identique à la raison. Quand Hugo dit quelque part que « Tout génie est un accusé ; » ce n’est d’abord qu’une métaphore, où sans doute il a lui-même enfermé moins de sens que d’orgueil et de mauvaise humeur contre son temps. Faites attention pourtant que le commentaire de cette métaphore irait à l’infini, si l’on voulait l’entreprendre, et qu’elle contient toute une théorie, discutable, mais raisonnable, et même démontrable, du rôle ou de la fonction du génie dans le monde. Quand il dit en un autre endroit : « Le serpent est dans l’homme : c’est l’intestin ; » on trouve d’abord la métaphore drôle, et l’analogie qui la lui suggère encore plus superficielle que drôle. Prenez garde toutefois qu’en y réfléchissant on trouverait aussi dans cette métaphore de quoi défrayer toute une exégèse, toute une religion, toute une philosophie. Dans un Dictionnaire de ses métaphores, en voilà quelques-unes qu’il faudrait trouver une disposition pour mettre en pleine lumière. Parce qu’il fut un grand artiste de mots, quelques-uns des rapports les plus cachés du langage et de la pensée se sont quelquefois révélés à Hugo. Pour arriver jusqu’à sa pensée, il faut subir sa rhétorique; mais il a sa façon de penser, enveloppée ou contenue dans sa façon de sentir; et nous, si nous voulons être équitables à sa mémoire, il nous faut apprendre qu’il y a une manière de le lire.

C’est ce que l’on n’apprend pas dans le livre de M. Duval; et nous le regrettons. On dirait un bouquet de fleurs de rhétorique, et encore parmi lesquelles un véritable Hugolâtre, qui serait un peu le juge en même temps que le dévot de son Dieu, lui reprocherait d’en avoir mis de trop insignifiantes, mais surtout de trop vieilles et de trop fanées. Son Dictionnaire ne tient pas les promesses de son titre, ni non plus celles de la Préface de M. Coppée. Leur admiration à tous deux pour le « Maître par excellence, » pour le « Poète suprême, » pour le « Dieu, leur Père de Guernesey, » serait-elle si sincère que d’en être devenue paresseuse? et pourvu que l’on admire, s’inquiéteraient-ils aussi peu de ce que l’on admire dans Hugo, que des raisons pour lesquelles on