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aventures. » Ce qu’il prenait pour des incartades était un système de conduite savamment concerte. Dès son avènement à la présidence, Louis-Napoléon joua un double jeu. Il se servait de ses ministres et de la majorité conservatrice pour remettre à l’ordre les factions et les factieux ; mais de temps à autre, s’adressant à la nation, il lui disait plus ou moins clairement : « Ces conservateurs avec lesquels j’ai l’air de m’entendre, n’allez pas croire que je les aime, je les subis. Il vous ont pris le suffrage universel, je vous le rendrai. Je m’appelle lion, je guis l’héritier du grand Napoléon, je suis l’empire démocratique ou la démocratie autoritaire. » Il y avait naguère en Espagne un roi qui excellait, comme beaucoup de ses sujets, dans l’art de parler par signes. Ce roi avait plusieurs amies très intimes dans le corps de ballet, et on raconte qu’un soir, à l’Opéra de Madrid, peu de temps après son second mariage, pendant que la reine, assise au cordon, était tout attentive au spectacle, debout derrière elle, il parlait constamment des yeux et des doigts à telle danseuse, qui lui répondait. Ainsi causait avec la France, par-dessus la tête de la coalition monarchique, un président qui aspirait à devenir l’empereur Napoléon III.

Il prodiguait les caresses, les attentions aimables, à son ministre de l’intérieur : « Ah ! ma petite ennemie ! disait-il, le 10 avril, à Mme Faucher, qui avait détourné son mari de rentrer aux affaires ; on me fait donc de l’opposition ! on voulait me priver des lumières de mon cher ministre ! » Il avait besoin de lui pendant quelques mois encore. Mais, peu après, il prononçait à Dijon un discours qui fit du bruit et dans lequel il accusait l’assemblée « d’être un obstacle à tous ses projets d’améliorations populaires par un relus de concours, qu’elle ne lui accordait que pour les lois répressives. » On ne pouvait parler plus nettement. En sortant du banquet, Léon Faucher donna sa démission ; pour obtenir qu’il la retirât, le prince jeta son discours au feu. Léon Faucher se flattait qu’à la longue il ferait l’éducation de cet homme qui ne savait pas encore la politique, qu’il l’obligerait à compter avec ses résistances respectueuses, qu’il le convertirait par degrés au système représentatif. Dès qu’il arrivait au pouvoir, il devenait optimiste : « J’ai une grande idée de la puissance de l’homme, avait-il écrit à un de ses amis d’Angleterre, le 6 février 1849. Le caractère est l’étoffe de la politique ; ce que l’on veut faire, on le fait. » Ce fut le président qui fit ce qu’il voulait faire.

Le terme fatal approchait ; pour préparer à son aise le coup d’état, il fallait à Louis-Napoléon un cabinet de complaisans. Il ne songea plus qu’à se débarrasser du cher ministre dont il appréciait tant les lumières, et pour le mettre dans la nécessité de s’en aller, il le chargea de demander à l’assemblée l’abrogation de la loi électorale du 31 mai1850. Léon Faucher n’était pas homme à se déjuger, à s’infliger