Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la jeter à la tête de ses ennemis. Un homme d’opposition ne doit jamais dire aux fontaines qu’il ne boira pas de leur eau, ni aux gouvernans qui lui déplaisent que, si un jour il arrive au pouvoir, il ne fera pas ce qu’ils ont fait.

Il faut excuser les contradictions qui ne sont que l’effet des circonstances. Si Léon Faucher était entré aux affaires dans des temps paisibles et réguliers, ce partisan résolu du progrès se serait fait gloire d’abolir les abus qu’il avait censurés, de préparer quelques-unes des réformes qu’il prêchait depuis longtemps, de combattre les routines, les superstitions administratives, l’idolâtrie des paperasses. Maison vivait dans le trouble, dans la confusion, dans l’anarchie : tout était remis en question, même la société. Il se désoccupa de tout autre soin que de présenter des projets de lois contre les clubs, contre les agitateurs, contre les réunions publiques, contre la presse rouge, d’adresser à ses préfets des circulaires sur les grèves, sur les emblèmes séditieux, sur les sociétés secrètes. Il s’était moqué des médecins qui ne connaissent que l’émétique et la saignée ; à son tour, pour sauver son malade, il le saignait à blanc ou lui administrait d’énergiques vomi-purgatifs.

Ce qu’on pouvait lui reprocher, c’était l’âpreté, l’intolérance de ses nouvelles opinions. « Nous sommes tous pétris de faiblesse et d’erreurs, a dit un philosophe ; pardonnons-nous réciproquement nos sottises. » Il ne savait pas pardonner ni verser de l’huile sur les plaies. Il pensait qu’un gouvernement qui s’abandonne mérite de périr, et il regardait l’indulgence comme le plus dangereux des abandons. Il avouait lui-même que sa raison était quelque chose de passionné. Il ne se mettait pas en peine de justifier ses variations. Tout fraîchement converti aux doctrines conservatrices, et encore revêtu de la robe du néophyte, il était devenu évêque d’une église où il s’était promis de ne jamais entrer, et son zèle était amer : il prononçait l’anathème non-seulement contre les socialistes, qu’il traitait d’hommes de rapine et de sang, mais contre les libéraux qui discutaient l’opportunité de ses lois répressives. Il leur disait : « Vous êtes le parti du désordre. » Il avait étudié la philosophie et l’histoire ; il aurait dû savoir qu’il y a bien des façons d’entendre l’ordre, que pour un grand inquisiteur, quiconque condamne les autodafés est un homme de désordre. Il disait aussi : « Nous sommes le parti des honnêtes gens. » Hélas ! les honnêtes gens ne sont pas un parti ; ce sont des individus de tous états et de tout poil, différant d’humeur, de couleur et de visage. Rassemblez-les, la morale exceptée, ils ne s’entendent sur rien.

Les montagnards lui en voulaient surtout d’avoir découvert et déjoué le complot du 19 janvier 1849, où disparut piteusement par un