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mais M. de Frayssinous le fit injustement exclure. Il n’avait pas les opinions qui procuraient alors les places et les honneurs. « Je me courbe sur les livres, écrivait-il le 13 septembre 1827, je me mets en quatre, et je vois avec douleur que je ne suis pas en état d’espérer le succès. Nous sommes seize concurrens pour trois places ; la plupart sont des ecclésiastiques bien recommandés, comme vous pouvez le penser, et qui se croient de rares connaissances en philosophie. On m’a cherché des chicanes, on ne voulait pas m’admettre à concourir ; il a fallu demander certificats sur certificats, protection sur protection… J’ai été obligé de faire dire à ces messieurs ce que j’ai été, ce que je suis, et un peu plus ils auraient voulu savoir ce que je serai. J’aurais alors répondu comme Ésope : « Je n’en sais rien, » de peur d’élire domicile en prison. » Après avoir été voltairien, puis un disciple fervent de Rousseau, il était devenu, selon sa propre expression, « un platonicien catholique comme la primitive église. » Encore était-il moins catholique que platonicien, car, cinq ans plus tard, il écrivait au père Enfantin : « Longtemps avant que vous eussiez dépouillé le matérialisme, je n’étais plus chrétien, j’étais religieux, et je voyais les choses du point de vue de l’avenir, du haut de la philosophie, de l’histoire, dont vous avez depuis tant abusé. » Il n’était pas de ces gens qui se font humbles pour arriver et qui croient toujours ce qu’il est utile de croire.

Délicat de santé, il avait cette force de caractère qui résiste à tout, et, comme il le disait lui-même, « quelque chose de la persévérance anglaise et beaucoup de l’ardeur gauloise du bon vieux temps. » Il raconte dans ses lettres qu’il fut obligé plus d’une fois de demander à dîner à un ami, que plus d’une fois il dut se coucher avant l’heure faute d’huile pour ranimer sa lampe qui se mourait, que souvent aussi son manteau lui tint lieu du feu qui ne brûlait pas dans sa cheminée. Mais il pensait que, quand on n’a rien, on est riche d’espérance, et que l’espérance est l’aurore du bonheur. Il s’était acquis de précieuses amitiés, auxquelles il demeura toujours fidèle, et à la fidélité il joignait un don rare, la grâce dans les attachemens. Avant de quitter Toulouse, il passait ses jours de vacances à Martres, chez M. Bellecour. « l’heureux couple de jours que je vais passer ! Je reverrai M., Mme et Mlle B…, le cresson, les rosiers, la pervenche. J’entendrai la harpe. » Martres lui resta cher, il ne l’oubliait pas à Paris ; malgré la distance, il s’arrangeait pour y retourner : « Vous m’attendez, et je suis impatient d’arriver. Je ferai dans votre salon, en quelques minutes, le chemin d’une année. Je vais m’asseoir sur tous les fauteuils, parler à toutes les gravures, deviner tout ce qui s’est dit et fait pendant mon absence… Je vais tomber sur vus raisins comme la grêle… Ne m’oubliez pas auprès de vos dames ; je les aime comme un enfant gâté ; mais quand je consulte ma glace, je ne retrouve plus les