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l’autre. Cette vie de labeur forcé, à l’âge où la constitution de la femme subit une transformation complète, exerce une influence fatale sur sa vie tout entière, et les résultats s’en feront plus vivement sentir, à mesure que les générations ainsi élevées arriveront à la maturité de la vie. Il est à craindre que le nombre des mères chétives, valétudinaires, incapables de donner le jour à des enfans robustes, de les bien nourrir et de les bien élever, n’aille en s’accroissant d’année en année. C’est un péril auquel il est temps d’aviser.

Les réformes à réaliser sont les mêmes que celles que j’ai signalées en parlant de l’éducation des garçons. La première, celle qui s’impose le plus impérieusement, c’est la réduction des programmes. Parmi les choses qu’on enseigne aux jeunes filles, il y en a la moitié qui ne leur servira jamais à rien; il en est qu’il est ridicule de leur apprendre et d’autres qu’il est inconvenant de mettre sous leurs yeux. J’ai professé l’anatomie pendant de longues années, j’ai passé une bonne partie de ma vie dans les amphithéâtres, et je suis blasé sur les choses qu’on peut y voir; je n’en ai pas moins éprouvé un sentiment pénible en trouvant, dans toutes les maisons d’éducation, des squelettes d’animaux et des mannequins anatomiques entre les mains de jeunes filles de quinze ou seize ans. Ce sont là des choses dont on devrait leur épargner la vue. Il faut leur accorder, comme aux garçons, plus de temps pour les récréations, leur imposer la vie au grand air, et tâcher de leur inspirer le goût des jeux et des exercices qui demandent de la force ou de l’adresse.

Enfin il est indispensable de soustraire à la tyrannie des brevets les jeunes filles appartenant aux familles riches, et de tâcher d’en dégoûter celles des classes pauvres, en leur montrant ce qu’il faut endurer de fatigues pour les obtenir et le peu de profit qu’on en retire, lorsqu’on leur a sacrifié sa santé et les plus belles années de sa vie.


JULES ROCHARD.