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fait pour nous surprendre : cette étude n’est pas uniquement celle des livres saints, la seule, à ce qu’il semble, qui dût convenir à un pénitent. Dans le tableau qui nous est tracé de l’emploi des journées à Cassisiacum, il n’est guère question que des sciences profanes, surtout de la rhétorique et de la grammaire. Nous voyons qu’on y lit avec le plus grand soin les auteurs classiques ; une fois on explique tout un livre de Virgile avant le dîner, et l’on achève les autres les jours suivans. Il semble vraiment qu’Augustin ne fasse autre chose que de continuer, pour quelques élèves de choix, son métier de professeur. Cependant il nous dit qu’il en était bien las, bien ennuyé, pendant les derniers mois de son séjour à Milan, qu’il lui tardait de descendre de cette chaire qu’on le félicitait d’occuper, et que, quand le terme de l’année scolaire fut venu, il avait été heureux d’annoncer aux magistrats « qu’ils auraient à se pourvoir d’un autre vendeur de paroles. » Si les exercices de l’école lui paraissaient si futiles, s’il a mis tant d’empressement à les fuir, on a grand’peine à comprendre que le premier usage qu’il fait de la liberté, dès qu’il l’a reconquise, consiste à reprendre des occupations pour lesquelles il vient de témoigner tant de dégoût.

Il est vrai qu’à cet enseignement de la grammaire et de la rhétorique il joint celui de la philosophie, qui, depuis la lecture de l’Hortensius, avait toutes ses préférences. Mais il faut remarquer que, malgré son affection pour elle, il ne lui sacrifie pas les autres études : ici, comme il arrivait alors dans les écoles, elle ne vient qu’après le reste et aux momens perdus. C’est une récompense et une distraction que le maître accorde à ses élèves lorsqu’il est content d’eux. Elle lui sert aussi à mesurer les progrès qu’a faits leur intelligence et à savoir s’ils sont devenus capables de penser tout seuls. Quand il croit devoir leur permettre ce divertissement, après un repas léger qui leur laisse toute la vivacité et la liberté de l’esprit, il les amène, s’il fait beau, dans la campagne, sous un grand arbre ; si le temps est mauvais, on descend dans la salle de bain, qui est spacieuse et commode ; on fait alors venir un sténographe (notarius) qui doit recueillir toute la conversation pour empêcher qu’elle ne s’égare: il ne faut pas qu’on soit tenté de retirer les concessions qu’on a faites et de revenir sur le chemin qu’on a parcouru ; ne serait-il pas fâcheux, d’ailleurs, « que le vent emportât toutes les belles choses qu’on va dire ? » Augustin pose ensuite une question, et la discussion commence.

Tous y prennent part à leur tour ; Monique même dit son mot à l’occasion. et ce mot est toujours si sensé, si juste, que saint Augustin