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Qu’elles soient Françaises, Allemandes ou Anglaises, elles font des maux affreux et souvent irréparables[1]. »

Il arrive pourtant un moment où la mère la plus instruite et la plus intelligente est obligée de se faire aider par une institutrice pour parfaire l’éducation de ses filles. Elle n’a ni les connaissances précises, ni l’habitude de l’enseignement qu’exigent de pareilles leçons; mais c’est une chose bien grave que d’introduire une étrangère au foyer de la famille, et une mère prudente, tout en lui déléguant une partie de son autorité, se garde bien de se reposer complètement sur elle, et de lui abandonner la direction du caractère et de l’esprit de ses enfans.

Les institutrices sont en général de pauvres femmes déclassées, qui ont connu ou qui rêvent des jours meilleurs. Elles n’acceptent que comme un expédient cette position fausse, qui n’inspire ni la soumission ni le respect à leurs élèves. Insuffisamment soutenues par les mères, froissées par les domestiques, aigries par les déceptions, elles voient la vie sous un aspect trop sombre pour ouvrir le cœur des jeunes filles à l’espoir et à la confiance qui ne sont plus dans le leur. L’influence qu’elles exercent sur elles est d’autant plus grande qu’elles se rapprochent davantage de leur âge. Bientôt toutes leurs pensées, toutes leurs impressions deviennent communes, et la mère qui s’est trompée dans son choix ne reconnaît plus, au bout de quelque temps, la fille qu’elle avait élevée jusqu’alors avec tant de sollicitude et d’amour; mais, il faut le dire pour être juste envers les institutrices, il est rare qu’il en soit ainsi. On les juge trop généralement sur des exceptions dont la triste célébrité les accable. Elles valent mieux que leur réputation. Pour ma part, j’ai été à même, dans ma carrière médicale, de pénétrer dans la vie intime de bien des ménages et de voir à l’œuvre bien des institutrices ; j’ai presque toujours rencontré en elles d’honnêtes et courageuses filles, dont j’admirais l’abnégation et l’esprit de conduite, et qui méritaient à tous égards la confiance et l’affection des familles.

Ce n’est pas une raison pour les accepter sans discernement, car on peut tomber sur une des exceptions dont je parlais tout à l’heure; et d’ailleurs, quelque sécurité que puisse inspirer à une mère la personne à laquelle elle a confié ses filles, elle ne doit jamais abdiquer complètement entre ses mains. Elle doit accepter avec plus de réserve encore les conseils que lui prodiguent ses parentes et ses amies. Elle ne tarderait pas, en les écoutant, à

  1. Lettres sur l’éducation des filles et sur les études qui conviennent aux femmes dans le monde, par Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans. Paris, 1879.