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et Idoménée, rien de grec. Une seule fois, chez Beethoven, parce que Beethoven a tout deviné, l’Orient apparaît : la ronde hurlante qui s’appelle le chœur des Derviches, des Ruines d’Athènes, témoigne d’une intuition merveilleuse. Mendelssohn ignore l’Orient, Weber l’entrevoit dans Obéron, Berlioz, dans le Repos de la Sainte-Famille, Félicien David le découvre et le met à la mode.

Le succès du Désert fut immense. On trouva dans cette musique des sensations inconnues. Des sensations, plus que des pensées et même des sentimens, car cette musique est avant tout sensuelle. « L’Orient, a très bien dit Fromentin, c’est un lit de repos trop commode, où l’on s’étend, où l’on est bien, où l’on ne s’ennuie jamais, parce que déjà l’on y sommeille ; où l’on croit penser, où l’on dort. » La musique de Félicien David languit de cette langueur délicieuse. Elle ne sait rien que décrire, et décrire quoi? La nuit au désert, le soir dans les jardins de je ne sais quelle vallée de Kachemire, le clair de lune et le glissement d’une barque sur un lac, une rêverie de femme sous des magnolias en fleurs, le bourdonnement de la guzla, qui accompagne une romance indienne. Auber disait plaisamment de Félicien David après le Désert : «Nous verrons, quand il descendra de son chameau. » Il en est descendu quelquefois, et il a eu tort. Quand on est si bien en selle, et sur une aussi rare monture, il faut y rester. En d’autres sujets que les sujets d’Orient, Félicien David n’a guère réussi que par exception. Il n’y a peut-être, dans Herculanum, qu’une inspiration de génie : les stances de l’Extase, et précisément ce morceau est encore un paysage, et l’un de ceux où le maître excellait : une nuit d’été au pied du Vésuve, presque une nuit d’Orient,

Félicien David fut un grand artiste sans être un grand musicien, au sens technique du mot. Il eut la faculté merveilleuse de transformer en phénomènes sonores des phénomènes lumineux; d’entendre ce qui se voit et de le faire entendre. Mais examinez de près sa musique : elle est aussi peu combinée, aussi peu scientifique que possible. Le Désert a beau s’appeler ode-symphonie; le mot symphonie, dans son acception accoutumée, ne saurait convenir ici : pas un développement, pas un soupçon de fugue ou de contre-point; nulle rigueur, nulle logique dans l’élaboration, dans la mise en œuvre d’une idée exclusivement musicale. Dès que Félicien David n’a plus un tableau à peindre, dès qu’il essaie de la musique pour la musique, il trahit sa faiblesse. Voyez, notamment, la vulgarité de certaine prière (première partie du Désert) : Louange à toi, le souverain des mondes ! Voyez encore la marche de la caravane : Allons! marchons ! cheminons! chantons ! La forme mélodique n’en est pas sans élégance ; l’effet de l’approche, du passage et de