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aériens? Par des morceaux comme l’ouverture, le scherzo, le duetto du Songe, par une musique alerte, rapide, pleine de notes et de traits, par une orchestration scintillante et perlée. Berlioz, excepté dans la valse presque mendelssohnienne, fait tout le contraire. Très peu de notes, et presque toutes graves, un chant solennel, soutenu de lents accords, un orchestre sombre, voilà l’air des roses. L’admirable chœur des esprits est fait, lui aussi, d’une grande phrase tranquille qui s’anime seulement à la fin. Et cette gravité, cette lenteur, ne sont ni moins expressives ni moins descriptives que l’agilité et la rapidité de Mendelssohn ; elles le sont autrement, voilà tout. On croit entendre ici l’haleine de la terre qui dort; des arômes montent de son sein, de larges fleurs s’ouvrent et l’herbe pousse. Très liés, très souples, les dessins mélodiques du chœur, de l’orchestre, enveloppent Faust et l’enlacent. Les rameaux, les lianes, les fils d’argent qui flottent dans l’air se joignent et se nouent silencieusement autour de lui. La nature a repris l’homme tout entier, pour lui donner une heure de sérénité et de paix.

A côté de ces pages tranquilles, il faudrait citer une page violente : l’invocation à la nature. C’est une apostrophe plutôt qu’une prière, presque une imprécation. Elle commence avec douceur, avec humilité : Nature immense... Toi seule donnes trêve à mon ennui sans fin. Mais Faust peu à peu s’irrite. Il appelle à lui les vents, les tempêtes, pour exaspérer sa mélancolie et la porter jusqu’à la fureur. « Levez-vous, orages désirés ! » crierait-il volontiers avec René, son contemporain et son frère. Et les ouragans lui répondent. Toute la nature, défiée, livre à la voix de l’homme des assauts terribles, et cette voix demeure longtemps la plus forte. Rugissante, éperdue, elle plane au-dessus du fracas universel. Elle domine un crescendo aussi puissant que celui du finale de la Symphonie pastorale au moment du coup de foudre. Mais comme la foudre, elle tombe et reste expirante sur les dernières notes, sur le gémissement d’une âme altérée d’un bonheur qui la fuit. Là encore les bruits de la nature ont dans le cœur humain un retentissement profond. L’âme de Faust se brise contre les forces supérieures qu’elle a imprudemment déchaînées.


V.

Dans la musique tout à fait contemporaine, la nature occupe relativement peu de place. Nous n’avons pas assez entendu les opéras de Wagner pour les juger au point de vue pittoresque, pour parler de la tempête du Vaisseau-Fantôme ou de la forêt de Siegfried. Le plus connu des paysages wagnériens est l’Incantation du feu.