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et l’azur paraît. Il suffit d’un rien, d’une note haussée d’un demi-ton, pour que le grupetto caractéristique de la mélodie, si anxieux naguère sur les paroles de Mathilde : Désert triste et sauvage, prenne un accent de sérénité et d’extase. Ce petit dessin mélodique, toujours le même, par la seule force d’une répétition obstinée, d’une ascension constante en des tonalités régulièrement espacées, finit par décrire des cercles immenses. Plus haut, toujours plus haut, tintent les notes argentines. Chalumeaux des pâtres, clochettes des troupeaux, les bruits de la montagne et ceux de la vallée montent de la Suisse entière, et dans un carillon gigantesque, si de tels mots peuvent s’associer, vibrent une dernière fois les deux notes principales de Guillaume, les deux sentimens dont l’œuvre entière est faite : l’amour de la nature et l’amour de la liberté.


IV.

Avant de s’accentuer encore dans les paysages de Schumann, de Berlioz, l’élément humain va se dérober un instant. Il est presque entièrement étranger à l’œuvre de Mendelssohn, j’entends à ses deux œuvres les plus pittoresques : le Songe d’une nuit d’été et la Grotte de Fingal. La musique du Songe et de Fingal est merveilleusement descriptive ; mais elle n’est que descriptive. Mendelssohn a été délicatement sensible aux plus subtiles impressions de la nature. Ses yeux, ses oreilles, ont su les derniers secrets de l’air et des eaux. Il a fait mieux que personne de la musique aérienne et de la musique marine. Mais, à l’inverse de presque tous les artistes, surtout des artistes de son temps, il ne se cherche pas lui-même dans la nature ; il ne demande pas au monde des échos pour sa pensée ou des consolations pour sa misère. Il n’a pas l’égoïsme intellectuel qui pousse certains esprits à se faire centre, à ramener la nature à eux-mêmes ; il la regarde en elle et non en lui, il décrit pour son plaisir… et pour le nôtre. L’orchestre ignorait, avant lui, cette finesse et cette ténuité, cette aisance à rendre l’infiniment petit, presque l’insaisissable, les phénomènes à peine sensibles : les mirages, les frissons de l’air et de l’eau. On trouve dans le Songe des sonorités inconnues avant Mendelssohn, et dont l’effet est presque lumineux : par exemple, au début du duetto, certaine tenue de flûtes dans le grave sur des notes infiniment profondes et pures.

Quant à l’ouverture de Fingal, c’est une marine musicale. Des visions d’azur pâle et de lumière irisée, des sensations de sonorité et de transparence, voilà la Grotte de Fingal. Les effets extraordinaires obtenus ici par Mendelssohn tiennent à la fois aux mélodies et aux timbres. Dès le début, une petite phrase courte