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l’un recueilli, virginal, l’autre étincelant. Que diriez-vous d’un peintre qui serait à la fois Raphaël et Rubens? Voilà ce qu’est Rossini dans Guillaume. Jamais on n’a donné à des formes musicales aussi pures, aussi nobles, une telle exubérance de vie, une telle fougue et une telle variété de mouvemens.

Quel langage parlent ces pasteurs 1 Pour faire un patriarche du vieux berger Melchtal, il suffit de quelques mesures :


Des jeunes montagnards, ô fidèles compagnes !


Cette phrase respire l’auguste majesté d’un pasteur de peuples. Melchtal par le comme le père d’une race. De ses mains tremblantes, le vieillard bénit l’avenir de la patrie ; il appelle au secours de son pays toutes les générations futures. Et tout cela, dira-t-on, à propos d’une noce de montagnards ! Mon Dieu, oui, comme le Freischütz à propos d’un tir de chasseurs. Les paysans de Rossini, comme ceux de Weber, atteignent naturellement à la simplicité, grandiose des êtres primitifs. !

Le second acte de Guillaume est au moins l’égal du premier. Le sentiment de la nature y est aussi intense; il y est, de plus, intimement lié à d’autres sentimens, qui lui donnent une force et un intérêt singuliers. Le drame annoncé au premier acte se développe au second. Les mêmes forêts, les mêmes montagnes vont écouter maintenant d’autres chants, recevoir de plus graves confidences. Au crépuscule, des chasseurs attardés traversent la clairière, une cloche tinte doucement. Le petit chœur : Voici la nuit, est une des merveilles de la musique, et une merveille faite de rien. Que dis-je? de fautes : de quintes et d’octaves successives; manquement grossier et sublime aux préceptes élémentaires de l’harmonie. Cette prière est presque inconnue du public. Personne à l’Opéra ne l’écoute. A peine, au surplus, est-il possible de l’entendre; les choristes la chantent trop vite et de trop loin. Trois fois elle monte de la chapelle, chaque fois plus mystérieuse et plus recueillie. Chaque fois le soleil est plus bas derrière la montagne, un peu plus d’ombre voile le firmament. Lentement les accords descendent, et avec eux la nuit, non pas la nuit fantastique du Freischütz, la nuit allemande; mais la nuit sereine, douce aux malheureux, aux opprimés, et qui sera bientôt complice de leurs héroïques colères.

Elle trouble pourtant, cette nuit, l’âme d’une jeune fille. La belle entrée que celle de Mathilde! Dans ce prélude inquiet palpite un amour sans préjugés, mais non sans pudeur, un amour ingénu, comme celui de la Valentine de George Sand pour le beau Bénédict; amour pour un jeune homme qu’il faut s’imaginer héroïque et superbe : « l’espoir, l’orgueil de ces montagnes. »