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passée, il se reprend à sourire. Et de quel sourire d’azur ! Quoi de plus limpide que la mélodie de cor anglais, avec les notes de flûte qui retombent, dernières gouttes de l’orage apaisé! On sent dans ces quelques mesures le rafraîchissement et le renouveau de la terre après la pluie ; on entend tinter les clochettes sous le soleil revenu.

Le rideau se lève. Au bord d’un lac, au pied des glaciers, des femmes sont assises, tressant des corbeilles ; derrière elles, les hommes se tiennent debout. Tous contemplent, tous admirent en paix la sereine splendeur du monde. Ce premier chœur a quelque chose de calme et, pour ainsi dire, d’installé. Il ne semble pas qu’il commence, mais qu’il continue ; que de cette terre belle et tranquille il monte sans cesse, tranquille et beau. De ces mélodies-là, Rossini seul, après Mozart, en a trouvé. La reprise, si naturelle et pourtant si inattendue, sur les mots : Quel jour serein le ciel présage! cause une surprise délicieuse.

Du premier chœur se détache la chanson du pêcheur, claire et calme comme le matin sur l’eau. Puis éclate la sublime interruption de Guillaume ; mais bien qu’une pareille entrée annonce et pose déjà le héros, le drame ne fait que menacer encore, et jusqu’à l’arrivée de Leuthold, c’est-à-dire jusqu’à la fin du premier acte, les voix de la nature dominent la voix de la patrie. Ce premier acte de Guillaume est la plus magnifique pastorale de toute la musique, c’est l’églogue d’un peuple entier. Les chœurs radieux se déroulent; ils suivent le cours de cette belle journée, la marche du soleil dans le ciel d’été. C’est la joie sous toutes ses formes, à tous ses degrés. Après la sérénité, l’animation et l’allégresse. Le chœur : On entend du haut des montagnes, roule et se précipite. À ces mots : Pasteurs! que vos accens s’unissent ! une explosion universelle : l’orchestre bouillonne, avec des assauts presque fous, des rentrées triomphales; au-dessus, des éclats juvéniles, et la voix claire de Jemmy. Tout se déchaîne : Près des torrens qui grondent! On dirait que le sol même palpite, que la terre tressaille et bondit, qu’elle se sent vivante, et belle, et bonne, comme la terre antique, Déméter, mère et nourrice de l’humanité. Encore et encore des chœurs ! Ils s’élèvent les uns derrière les autres, par plans successifs, et de chaque sommet d’autres sommets se découvrent. La progression de cet acte est merveilleuse : il monte, il monte toujours. Et que chantent ces paysans? « Le travail, l’hymen et l’amour, » toutes les sublimes banalités de la vie naturelle. Célébrons! Célébrons! Ils célèbrent tout le temps, et à outrance, heureux de vivre, de respirera pleins poumons un air salubre, de tirer de l’arc et d’épouser de belles filles. Ah! les magnifiques épousailles ! On n’a rien écrit de plus beau que ces deux chœurs d’hyménée :