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chemin. Jamais idée musicale n’a suivi plus parfaite évolution. Jamais, d’une première forme sonore, d’autres ne sont nées ainsi, belles d’attraits divers et fraternels à la fois. Quand Beethoven a tout dit, quand il a touché le fond de lui-même, les derniers souilles meurent, les derniers murmures tombent, et près de nous, tout bas, quelques oiseaux s’appellent. Leur chant, qui pouvait être puéril, est délicieux; il achève sobrement le tableau. Plus rien ne bouge, plus rien ne bruit; les mystérieuses confidences sont finies, et la vie de la nature reprend son cours silencieux.

Ces beautés subjectives, ces beautés d’âme, très particulières à la Symphonie pastorale, plus cachées et plus admirables peut-être que les autres, se rencontrent aussi dans le premier morceau. Le titre seul : Sentimens joyeux éveillés par l’arrivée à la campagne, annonce encore une description intérieure. Dès la première phrase, si simple, si avenante, notre cœur s’ouvre à la joie de la campagne ; joie presque muette des élémens sereins, qui ne se trahit que par la lumière et le repos ; joie répandue sur la face du monde, assez forte pour accroître nos pauvres joies humaines, assez discrète pour ne pas irriter nos douleurs. De ce premier morceau, rien n’est violent, ni même passionné. Le début est peut-être le plus calme de tous les débuts symphoniques de Beethoven. Plus l’idée se développe, plus nous sentons en nous la confiance, la paix, tous les grands bienfaits de la nature.

Après la subjectivité de la Symphonie pastorale, il faut en signaler encore un autre caractère : la généralité. Voilà bien de la philosophie ; mais ici elle s’impose, elle et ses vilains mots. M. Taine a formulé une grande loi littéraire et artistique quand il a dit : « La valeur d’une œuvre est proportionnée à la valeur du caractère exprimé... Plus le caractère est général, plus l’œuvre est belle,. Partout se vérifie cette loi, toute beauté la confirme : celle des Venus antiques, celle des Vierges de Raphaël ou des Pensées de Pascal. On pourrait presque dire : autant de chefs-d’œuvre, autant de lieux-communs, de la forme ou de la pensée; lieux-communs magnifiques, mais lieux-communs. Du haut en bas de l’échelle artistique, la beauté s’accroît avec la généralité du sujet. La beauté de la Symphonie pastorale est le plus générale possible. Beethoven a exprimé le sentiment, non de telle ou telle nature, mais de la nature moyenne, je dirais presque banale. Il n’a cherché ni les palmiers de Lalla-Roukh, ni les glaciers de Manfred, ni la grotte de Fingal. Il a traduit de la nature les puissances élémentaires et invariables, l’âme cosmique partout présente, dans le champ le plus vulgaire et dans le paysage le plus rare. Sous cet autre aspect, la Symphonie pastorale est encore un chef-d’œuvre de la musique, et