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l’œuvre garde sa beauté, qui repose et fortifie. L’introduction prétend décrire le passage de l’hiver au printemps. On peut, dans le rythme accentué, dans les syncopes et les traits rapides du morceau, dans les récits de Simon, ne pas reconnaître aisément la dernière défense de l’hiver ; mais, aux premiers mots de Lucas, à ces notes de ténor, que suit une coulée de triolets, on sent véritablement l’attiédissement de l’air, la détente de la nature. Une phrase à la Mozart sourit sur le seuil de la jeune saison, et le chœur du début a la douceur d’une bouffée d’avril. Déjà, les braves paysans remercient le Seigneur. Ah ! L’on était optimiste alors ; on n’incriminait ni la nature ni Dieu : on trouvait, comme M. Renan le trouve encore, que l’intention de l’univers est généralement bienveillante. Partout, dans l’air du laboureur, dans la prière suivante, qui de loin annonce les beautés pastorales de Guillaume Tell, dans le Chant de joie, partout c’est la même paix et le même bonheur.

De l’Été, l’une des pages les plus expressives est l’air fameux : Soleil, ton poids est trop lourd! Il rend bien l’accablement de la nature sous l’étouffante pesée du jour. Dans cet air, comme un peu plus loin dans le grand récitatif de Jeanne saluant les arbres et les mousses de la forêt, l’élément humain commence à prendre place. Nous n’en sommes plus aux descriptions purement objectives. La jeune paysanne est bien près de comprendre les eaux, les bois; elle les regarde, les écoute : elle soupçonne en eux des secrets.

La chasse et la vendange sont les principaux épisodes de cette troisième partie, et peut-être les plus beaux de l’ouvrage. Chasse à tir, chasse à courre, Haydn n’a rien négligé. Il a fait de la musique cynégétique, comme il avait fait dans la Création de la musique zoologique. Un air très ingénieux, trop peut-être, décrit le manège du chien : la quête, l’arrêt, l’envolée de l’oiseau et sa chute au coup de fusil. La musique n’en est pas encore au grand paysage, mais elle en est au grand gibier. Superbe est le chœur des chasseurs lancés à la poursuite du cerf. Plus tard, les chasseurs d’Euryanthe sentiront mieux l’effroi romantique de la forêt; ils sonneront dans la clairière des appels plus mystérieux ; mais les chasseurs des Saisons galopent d’un galop plus fou. Leur fanfare exprime bien la conscience joyeuse de la vie physique, cette surabondance d’être et d’activité qui anime des corps robustes et sains exercés en pleine nature. Le chœur des vendangeurs, qui suit immédiatement, est beau de la même beauté. Il est plus fougueux encore. Ici la joie de vivre est à son comble. Des tonneaux éventrés ruisselle le vin; les ménétriers soufflent et râclent des rondes enragées. On danse avec fureur, et l’animal humain, comme dirait M. Taine, s’ébat en toute liberté. Voilà ce que savait faire au besoin le doux Haydn : la Kermesse de Rubens en musique.