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cherchait sa voie sans la trouver, et s’arrêtait à chaque pas sur ce chemin de la vérité, où lui-même avait marché si vite[1].

Ne pouvant pas voir saint Ambroise en particulier autant qu’il le désirait, Augustin ne manquait pas de se rendre tous les dimanches à l’église, pour l’entendre parler à son peuple, et il en sortait toujours charmé. Ce n’était pas seulement le talent de l’orateur qu’il admirait, mais la façon dont il présentait et expliquait les Écritures aux fidèles. La méthode qu’il suivait, nouvelle pour les Occidentaux, était familière aux docteurs chrétiens de l’Orient, et leur venait, comme tant d’autres choses, des philosophes grecs. Quand les stoïciens entreprirent de raccommoder les religions populaires avec la philosophie, ils furent fort embarrassés de beaucoup de vieilles légendes que les esprits sensés trouvaient immorales ou ridicules. Pour s’en tirer, ils imaginèrent de dire qu’on ne devait pas les prendre à la lettre, qu’il fallait les traiter comme des allégories qui, sous un air frivole, cachaient des enseignemens profonds. De cette façon, ils parvinrent, à force de finesse et de subtilité, à leur donner une assez bonne apparence. C’est ainsi que, par exemple, Hercule, Thésée et les autres héros de la force brutale, dompteurs de géans et vainqueurs de monstres, devinrent des symboles du sage qui lutte contre les vices et les passions, et qu’on en fit des saints du stoïcisme. Plus tard, Philon-le-Juif eut l’idée d’appliquer le même système aux récits de l’Ancien-Testament, et Origène, qui le trouva commode, l’introduisit dans les écoles chrétiennes d’Alexandrie ; de là il passa en Occident avec saint Hilaire et saint Ambroise. Quand on se rappelle la disposition d’esprit d’Augustin à ce moment, on n’a pas de peine à comprendre qu’il ait été fort satisfait de cette manière d’expliquer les livres saints. Bien que sa foi commençât à s’affermir, il devait encore être quelquefois blessé des légendes singulières de la Bible, dont Porphyre et Julien s’étaient si finement moqués. Assurément, la nouvelle méthode d’interprétation ne les supprimait pas, puisqu’il était entendu qu’il fallait en accepter la réalité avant d’y chercher un sens mystique. Un vrai croyant devait donc regarder d’abord comme certain qu’Isaac fut trompé grossièrement par Jacob et qu’il le bénit, sans le savoir, au détriment de son frère Ésaü ; mais ce qu’il y a d’un peu naïf sans cette histoire disparaît dès qu’on aperçoit les explications qu’on peut en donner. Ce fils aîné que son cadet supplante, avec l’approbation du père, n’est-ce pas une image des juifs remplacés

  1. Si saint Augustin fit peu d’attention au jeune professeur, il paraît avoir été plus frappé de sa mère, qui était venue le rejoindre à Milan. L’évêque avait remarqué l’ardente piété de Monique, et il en parlait avec attendrissement à son fils.