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par exemple, dans son Traité des institutions divines, à propos d’une vive polémique contre un hérésiarque : « Cet impie, dit-il de son adversaire, dépréciait avec une merveilleuse subtilité ces prodiges opérés par Jésus-Christ, sans pourtant oser les nier. Il prétendait démontrer qu’Apollonius en avait accompli de pareils, sinon de plus éclatans. Je m’étonne qu’il ait omis Apulée, dont on a coutume de citer une foule de miracles. » Lactance admet d’ailleurs parfaitement l’efficacité des incantations magiques : « Tout l’art et toute la puissance des magiciens, dit-il, consistent à évoquer les anges déchus; ceux-ci répondent à l’appel, obscurcissent la pensée de l’homme et l’égarent par leurs images trompeuses. Alors on ne voit plus ce qui est ; on croit voir ce qui n’est pas. Ces esprits, dis-je, ces esprits souillés et perdus, errent par le monde entier et se consolent de leur déchéance en travaillant à faire déchoir les hommes. Ils remplissent donc l’univers de leurs embûches, de leurs tromperies, de leurs ruses, de leurs mensonges; ils s’attachent à chaque homme en particulier, ils vont de porte en porte. On leur donne le nom de génies : c’est le mot latin qui traduit le mot grec démon. » Tout en reconnaissant le pouvoir magique d’Apulée, Lactance conteste plusieurs des miracles qu’on lui prêtait. « Ce qui prouve, dit-il, la divinité du Christ, ce n’est pas son propre témoignage (comment se fier à une personne, quand elle parle d’elle-même?); c’est le témoignage des prophètes qui, longtemps à l’avance, ont prédit les actions et les souffrances du Christ. Ni Apollonius, ni Apulée, ni aucun magicien, n’a pu et ne saura jamais invoquer une telle autorité. » Lactance, et après lui plusieurs pères de l’église, unissent dans une même malédiction Apollonius de Tyane et Apulée de Madaura. Ces deux personnages, aux temps des luttes religieuses, ont joué à peu près le même rôle, l’un dans l’Asie-Mineure, l’autre en Afrique. Les païens ont incarné en eux leurs dernières espérances ; on a groupé autour de leurs noms des traditions merveilleuses, on leur a attribué mille prodiges ; on a fait d’eux, en face du christianisme grandissant, des prophètes du paganisme.

Au commencement du Ve siècle, la religion nouvelle l’emporte décidément en Afrique. Mais les évêques font de vains efforts pour déraciner dans l’esprit des foules la croyance aux miracles d’Apulée. La persistance de la légende est attestée surtout par les œuvres de saint Augustin. Thagaste, où naquit le futur évêque d’Hippone, est située à quelques kilomètres de Madaura, la patrie du romancier. Le jeune Augustin avait fait précisément ses études à Madaura, et il resta plus tard en correspondance suivie avec Maxime, un rhéteur de la ville. Il connaissait mieux que personne la popularité suspecte