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de l’exercer à son tour. Il s’en est défendu dans son Apologie, mais l’imagination populaire le soupçonnait déjà de son vivant, et il avait eu à se justifier devant le tribunal du premier magistrat d’Afrique. Il ne réussit pas à convaincre la foule. On se rappela toujours le mystère de son existence aventureuse, les préventions de ses contemporains, les débats de son procès, les guérisons miraculeuses qu’il opérait avec des plantes, ses livres philosophiques sur les démons, les singulières métamorphoses de son roman, et le long défilé de ses enchanteurs et de ses sorciers. La lecture de ses ouvrages confirmait aisément aux yeux de la postérité les soupçons des contemporains et donnait une autorité nouvelle aux accusateurs du philosophe. Il connaissait si bien la magie, il en parlait si volontiers, qu’il avait dû la pratiquer pour son compte. Ainsi conclut la logique populaire, et de là est née la légende d’Apulée magicien.


III.

Les commérages de la ville d’OEa, l’accusation intentée au philosophe et le procès plaidé devant le proconsul, les longs voyages d’Apulée en Orient, son initiation à tous les mystères, la dévotion ardente et les talismans qu’il en avait rapportés, l’immense popularité que lui valut son éloquence à Carthage et dans toute l’Afrique, la lecture de son Apologie, qui devint une arme contre lui, ses traités de médecine et d’histoire naturelle, son opuscule Sur le démon de Socrate, les jongleries d’enchanteurs et de sorciers qu’il avait accumulées à plaisir dans son roman de l’Ane d’or, enfin l’emportement crédule des imaginations africaines et ce besoin de surnaturel qui obsédait tous les esprits aux premiers siècles de notre ère, voilà tous les élémens de la légende d’Apulée. Il nous reste à expliquer la popularité de cette tradition, à déterminer les circonstances historiques qui en ont favorisé le développement.

Il faut du temps pour accréditer tout à fait une légende. Ce n’est pas au lendemain de sa mort qu’Apulée devint tout à coup un puissant enchanteur. Ni ses contemporains, ni les auteurs du siècle suivant ne mentionnent ses miracles; on n’en trouve pas trace dans l’Octavius de Minutius Félix, ni dans les traités de Tertullien, ni dans la correspondance de saint Cyprien, évêque de Carthage. Mais un siècle et demi plus tard, à l’époque de l’empereur Constantin, la légende est entièrement constituée. Lactance, qui était d’origine africaine et avait étudié dans sa jeunesse aux écoles de Carthage, connaît bien la mauvaise réputation de son compatriote. Il le mentionne,