trois reprises une herbe sur la bouche du mort, en place une autre sur sa poitrine ; puis il se tourne vers l’orient et évoque le soleil. Téléphron monte sur une borne pour dominer la foule et contempler cette scène imposante. Voilà que la poitrine du défunt se soulève, et que son pouls commence à battre. Bientôt il peut parler: il dénonce le crime auquel il a succombé, puis il montre du doigt Téléphron : « Pendant que ce jeune homme veillait sur moi avec un zèle extrême, de vieilles sorcières ont voulu s’emparer de mes restes ; elles ont plusieurs fois, et toujours inutilement, changé de formes. Ne pouvant tromper sa vigilance, elles ont répandu sur lui les vapeurs du sommeil et l’ont engourdi. Puis elles m’ont appelé par mon nom; elles n’ont pas cessé leurs cris avant que mon corps raidi et mes membres glacés n’aient enfin commencé d’obéir à leur appel magique. Mon gardien que voici était vivant et seulement endormi ; il porte le même nom que moi : il se leva plus vite ; comme un fantôme, il alla machinalement se heurter contre la porte close de la chambre. Par une fente, les sorcières lui ont coupé le nez, puis les oreilles : il a subi ces opérations à ma place. Pour dissimuler leur larcin, les magiciennes ont façonné avec de la cire des oreilles et un nez semblables aux siens; elles les lui ont appliqués. » À ces mots, Téléphron, tout épouvanté, porte la main à son visage : le nez, les oreilles se détachent. Le malheureux s’enfuit au milieu des huées de la foule. Il n’a osé retourner ni dans sa patrie ni dans sa famille. Il est resté en Thessalie : il rabat ses cheveux sur le côté pour couvrir la place des oreilles; il s’est fait un nez avec du linge et un onguent.
L’imagination du romancier voit partout des magiciens et des histoires merveilleuses. Après le souper de Byrrhène, le héros se dirige vers la maison de son hôte. Trois hommes lui disputent le passage; il les tue tous les trois et se précipite dans la maison, tout effaré. Au matin, on vient l’arrêter, on le conduit solennellement au théâtre, où l’on instruit son procès. Mais, ce qui indigne beaucoup l’étranger, son malheur n’attendrit personne; il entend autour de lui des rires à peine contenus. Enfin l’on apporte les cadavres des victimes : ce sont trois outres de peau de bouc. La ville d’Hypata célébrait ce jour-là une fête en l’honneur du dieu du Rire, et Lucius avait payé les frais des réjouissances publiques. Les outres avaient été animées, la nuit précédente, par les sortilèges de son hôtesse Pamphile. C’est qu’il a reçu l’hospitalité dans la maison d’une magicienne; le maître du logis, un vieil avare, plaisante volontiers sur les sorcières; mais sa femme se change en oiseau pour aller trouver les galans. Lucius apprend tous ces détails de la servante Fotis. Il sent alors se réveiller sa maladive curiosité.