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jeûne. Au bout de ce temps, il couvre le novice de la robe de lin et le conduit dans l’intérieur du sanctuaire. Apulée ne peut révéler ce qu’il y a vu : « Peut-être, lecteur curieux, me demanderez-vous avec anxiété ce qui fut dit, ce qui fut fait ensuite. Je le dirais, si cela pouvait se dire; vous l’apprendriez, s’il vous était permis de l’entendre. Mais le crime serait égal et pour les oreilles et pour la langue qui se rendraient coupables d’une aussi téméraire indiscrétion... J’approchai des limites du trépas ; je foulai du pied le seuil de Proserpine, et j’en revins en passant par tous les élémens. Au milieu de la nuit, je vis le soleil briller de son éclat éblouissant. Je contemplai face à face les dieux de l’enfer, les dieux du ciel ; je les adorai de près. Voilà tout ce que je puis vous dire. Mais vous avez beau entendre ces paroles, vous ne pouvez les comprendre. » Au point du jour, le nouvel initié est revêtu de douze robes, autant qu’il y a de mois dans l’année. On tire le rideau qui le cachait aux yeux du public profane. Et tous admirent les broderies, les hiéroglyphes, les figures d’animaux dont il est chamarré. Avant de quitter Corinthe, Apulée adresse une prière suprême à la déesse qui force le destin. Il part pour Rome, où il devient un dévot du temple d’Isis. Celle-ci lui apparaît de nouveau pour lui ordonner de se faire initier encore aux mystères d’Osiris. Apulée a vu en songe un des prêtres, celui qui doit l’accueillir, et il le reconnaît dans le saint cortège. Pour payer les frais de la cérémonie, le philosophe doit vendre jusqu’à ses habits. Mais il est récompensé de sa piété, il est admis dans la confrérie des Pastophores, et remplit ses fonctions la tête rasée. Le grand dieu Osiris daigne à son tour lui parler, l’engage à persévérer dans sa carrière d’avocat, lui promet la fortune et le succès. Tout ce récit d’Apulée est grave ; on y sent une conviction profonde, il raconte sa propre initiation au culte de la nature. Cet épisode des Métamorphoses a certainement frappé l’imagination des lecteurs africains, et les a confirmés dans leur croyance à la magie d’Apulée.

C’est qu’en effet l’on tenait à bon droit pour suspects ces fervens adorateurs d’Isis et d’Osiris. Les cultes orientaux ont occupé dans l’imagination des Grecs et des Romains la même place que les sciences occultes dans les esprits du moyen âge. Toutes ces religions, venues de Chaldée ou d’Egypte, étaient imprégnées d’astrologie et de magie. L’Isis qu’adore Apulée est, nous dit-il, plus puissante que le destin même; elle peut modifier à son gré le sort des humains : or ce fut toujours la grande rêverie des sorciers. Entraîné par sa curiosité, Apulée demanda aux cultes mystérieux de l’Orient ce qu’il ne trouvait pas dans la religion ordinaire. Il céda à l’irrésistible attrait du surnaturel et de l’inconnu. On surprend cette