Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/600

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pieux, par une dévotion exemplaire, une chasteté inviolable, tu mérites ma protection, sache que seule j’ai le droit de prolonger ta vie au-delà du terme fixé par les destins. » Telle est la vraie divinité d’Apulée : c’est pour l’avoir trop honorée qu’il a encouru le soupçon de magie. C’est la déesse mystérieuse qu’on retrouve au fond de toutes les religions antiques, cette nature qu’ont invoquée les sorciers de tous les temps. Elle exige que son adorateur se consacre pour toujours à son culte.

Le jour paraît. La déesse, en se retirant, a laissé derrière elle une traînée de joie. «La nature entière me semblait respirer l’allégresse. Sur les animaux, autour des maisons, dans l’air même, je sentais se répandre comme une atmosphère de bonheur. La fraîcheur de la nuit avait fait place à une température douce et délicieuse. Les oiseaux, éveillés par les émanations printanières, entonnaient leurs cantiques; par leurs charmans accords, ils célébraient la mère des astres et des temps, la maîtresse de l’univers. Les arbres mêmes, les arbres fruitiers et les arbres stériles qui donnent seulement de l’ombrage, s’épanouissaient au souffle de l’Auster ; ils se paraient d’un feuillage naissant, et leurs bras doucement agités bruissaient avec un joli murmure. Le fracas étourdissant des tempêtes s’était apaisé ; la mer avait calmé ses flots et déferlait mollement sur la plage. Le ciel était pur de tout nuage; rien n’obscurcissait son éclat azuré. » Mais voilà que des portes de Corinthe sort la longue procession des adorateurs d’Isis. En avant marchent les gens du peuple, tout bariolés. Un homme, ceint d’un baudrier, représente un soldat; un autre, avec sa courte chiamyde, son petit sabre et ses épieux, figure un chasseur. En voici un qui porte des brodequins dorés, une robe de soie : à ses cheveux rattachés sur le haut de la tête, à sa marche traînante, on reconnaît de loin qu’il joue un rôle de femme. Celui-ci, chaussé de bottines, armé d’un bouclier, d’un casque et d’une épée, semble un gladiateur. Celui-là, précédé de faisceaux, contrefait le magistrat. Voici le philosophe, avec son manteau, son bâton, ses sandales et sa barbe de bouc. Puis, ce sont des oiseleurs avec leur glu, des pêcheurs avec leurs hameçons. On porte en litière un ours apprivoisé, vêtu en dame de qualité. Derrière elle sautille Ganyraède : c’est un singe, coiffé d’un bonnet brodé, vêtu d’une robe jaune. On s’amuse beaucoup à voir passer Pégase et Bellérophon : c’est un vieillard tout cassé, qui suit péniblement un âne au dos collé de plumes. Avec la gaieté populaire des masques contraste le recueillement des femmes, vêtues de blanc, qui forment le cortège particulier de la déesse. Tout enguirlandées de roses, elles jonchent le sol de petites fleurs et portent les attributs magiques d’Isis. Elles versent des parfums,