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de leur corps un morceau de la pierre que les Romains appelaient lapis gagates ; c’est le moyen qu’on emploie sur les marchés pour constater la bonne santé des esclaves ; on peut aussi provoquer un accès du haut-mal en imprimant un mouvement rapide à une roue de potier. Les épileptiques, conclut Apulée, relèvent uniquement de la médecine. » Quant aux enfans magiques, le philosophe avoue qu’il n’est pas éloigné d’admettre leur puissance prophétique. « Voilà, dit-il, ce que je lis dans plusieurs auteurs sur les enfans magiques. Mais j’hésite, quand il s’agit de déclarer si je crois ou non ces choses-là possibles. Sans doute, je pense avec Platon qu’entre les dieux et les hommes existent certaines puissances divines, intermédiaires par leur nature et par l’espace qu’elles occupent ; ce sont ces êtres qui président à toutes les divinations, à tous les prodiges de la magie. Il y a plus : je suis persuadé qu’une âme humaine, surtout l’âme saine d’un enfant, peut, au moyen de charmes qui la transportent, de parfums qui l’extasient, être entièrement soustraite à la conscience des choses de ce monde ; insensiblement elle peut oublier son corps, être ramenée, réduite à sa nature essentielle, qui est immortelle et divine ; alors, dans une espèce de sommeil, elle peut présager l’avenir. » Apulée croit donc aux merveilleux effets du sommeil magique, nous dirions magnétique ; il affirme seulement que les sujets traités par lui étaient des malades, des épileptiques ; on ne l’a jamais pris en flagrant délit d’opérations magiques sur des enfans. il admet que les mêmes sortilèges peuvent agir également sur le cœur des femmes ; mais il affirme ne l’avoir pas tenté sur Pudentilla ; et la principale preuve qu’il en donne, c’est qu’il n’avait aucune raison de le tenter.

Il est certain que ces questions d’hypnotisme et de suggestion, fort a la mode de nos jours, préoccupaient beaucoup Apulée. Il connaît à merveille toutes les histoires magiques, et dans un curieux passage de l’Apologie, il s’emporte avec une verve amusante contre les griefs invraisemblables et la maladresse ignorante de ses accusateurs. « Faut-il que vous soyez assez ignares, assez étrangers à toutes les fables les plus rebattues, pour ne pouvoir même donner quelque vraisemblance à toutes vos calomnies ! » Et il leur fait à ce propos une véritable leçon de magie, qui intéresse fort et les juges, et le public, et l’orateur. Il invoque avant tout l’autorité de Virgile, qui, on le sait, est devenu, dans l’imagination du moyen âge, un grand magicien : « Si tu avais lu Virgile, s’écrie l’orateur, tu saurais assurément qu’on a recours à d’autres objets pour les sortilèges. Ce poète, si je ne me trompe, énumère les bandelettes moelleuses, la grasse verveine, l’encens mâle, le fil de diverses couleurs ; il recommande encore le laurier fragile, l’argile durci, la cire fondue…