Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

essuyer ses murailles, ou a-t-il encore la tête alourdie par l’orgie de la veille ? D’ordinaire, à cette heure du jour, il est ivre et ronfle. On l’a vu naguère, en plein forum, répondre d’une façon assez distinguée aux hoquets d’Æmilianus : il était en train de vendre sa calomnie pour 3,000 sesterces. Maintenant, on n’ose même pas le traîner au tribunal : que penseraient les juges de son air hideux, de sa tête glabre, de sa mâchoire démantibulée, de ses yeux humides, de ses paupières gonflées, de ses mains tremblantes, de sa voix rauque, de ses lèvres écumeuses ? Le beau témoin qu’on a recruté là ! Cette trouvaille est digne des gens qui attribuent à la sorcellerie les chutes et les contorsions des épileptiques ; le mal divin relève de la médecine, non de la magie : en soignant des malades, Apulée n’a fait que remplir son devoir de médecin.

Voilà comme Apulée repousse dédaigneusement les absurdes accusations de ses ennemis et se moque des commérages de la ville. Le proconsul et ses assesseurs sont pleinement convaincus de son innocence. Et l’orateur termine fièrement son éloquent plaidoyer : « Répondez, vous qui affirmez qu’Apulée a voulu séduire l’âme de Pudentilla par des enchantemens magiques. Que voulait-il d’elle ? Pourquoi aurait-il agi de la sorte ? La recherchait-il pour sa beauté ? Non, dites-vous. Était-ce du moins pour sa fortune ? Non, répondent le contrat de mariage, l’acte de donation, le testament ; toutes ces pièces établissent que, loin d’avoir fait preuve d’avidité, il a repoussé énergiquement les offres généreuses de sa femme. Quel autre mobile l’a donc fait agir ?.. Vous devenez muets, vous ne soufflez mot. On dirait que vous avez oublié ce début terrible de la plainte portée par vous, au nom de mon beau fils : « J’entreprends, seigneur Maximus, d’accuser Apulée devant vous. » Pourquoi ne pas ajouter « d’accuser mon maître, mon beau-père, mon bienfaiteur ? » Je continue : « de l’accuser d’une foule de maléfices, tous plus évidens les uns que les autres. » Voyons donc un seul de ces maléfices ; je n’en demande qu’un, le moins évident ou le plus contestable de tous. Quant aux griefs que vous avez formulés, voyez si j’y réponds en deux mots :

« Tu brosses tes dents ? — j’ai le droit d’être propre.

« Tu regardes des miroirs ? — Un philosophe le doit.

« Tu fais des vers ? — C’est permis.

« Tu étudies les poissons ? — Aristote l’enseigne.

« Tu consacres du bois ? — Platon le conseille.

« Tu prends femme ? — Les lois l’ordonnent.

« Ta femme est ton aînée ? — C’est fréquent.

« Tu as agi par cupidité ? — Regarde le contrat de mariage, rappelle-toi la donation, lis le testament. »