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de Pudentilla, était mort ; mais il laissait un jeune frère, nommé Pudens, que son beau-père Rufinus et son oncle Æmilianus maniaient à leur guise. Æmilianus et Rufinus entreprirent de perdre Apulée pour attirer à eux toute la fortune de la famille. Dans un procès qu’eut alors Pudentilla, le philosophe avait pris la parole, comme avocat de sa femme. Æmilianus soutenait les intérêts opposés; au cours des débats, il donnait à entendre qu’Apulée, par ses opérations magiques, avait causé la mort de Pontianus et séduit Pudentilla. Le philosophe somma Æmilianus de se déclarer partie civile. On fit signer l’acte d’accusation par le jeune Pudens. Et la nouvelle cause fut portée devant le tribunal du proconsul d’Afrique, le stoïcien Claudius Maximus.

Dans ce procès retentissant prirent corps toutes les anecdotes et les insinuations malveillantes sur les prétendus enchantemens d’Apulée. Ses adversaires groupèrent habilement dans leur dénonciation tous les commérages des carrefours d’OEa. Les nombreux témoignages qu’ils alléguaient pouvaient rendre vraisemblable, aux yeux de la foule, l’usage criminel qu’Apulée aurait fait de la magie pour séduire une riche veuve. L’accusation paraît bien singulière à des modernes, et l’on a d’abord peine à comprendre qu’un tel procès ait pu être plaidé solennellement, sous le règne de Marc-Aurèle, devant le premier magistrat de l’Afrique, lui-même un philosophe distingué. Mais on observe dans les cerveaux des anciens bien des replis bizarres. Les Romains, comme les Grecs, ont toujours cru que les incantations magiques pouvaient forcer l’amour. Rappelons seulement la ceinture de Vénus, les breuvages de Circé et de Médée, la magicienne de Théocrite, les cérémonies nocturnes des sorcières de Rome, dont Horace et Properce ont esquissé l’amusante caricature. Apulée lui-même, dans son Apologie, reconnaît parfaitement que les appels magiques peuvent agir sur les cœurs ; il nie seulement avoir employé ces moyens coupables. Tout le débat se ramenait donc à une question de fait.

Les accusateurs avaient déposé au dossier des pièces qui semblaient une charge accablante. Apulée déclare que plusieurs étaient controuvées, mais il admet l’authenticité d’une curieuse lettre de Pudentilla à son fils. Elle était écrite en grec, et les adversaires du philosophe triomphaient en montrant ce passage : « Apulée est un magicien : et j’ai été ensorcelée par lui. Oui, je l’aime; venez donc à moi, pendant que je n’ai pas encore perdu tout à fait la raison. » Nous savons que, la veille du procès, les accusateurs s’étaient promenés sur le forum pour faire voir à tout venant la pièce compromettante. Aussi Apulée dut-il entreprendre une réfutation en règle :