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par simples décrets, en l’absence du parlement. Il semble que le seul but qu’on se soucie d’atteindre soit de sauver les apparences et de leurrer le pays par un équilibre fictif qu’on sait devoir disparaître dès le lendemain de la séparation des chambres.

Emplois, bourses, pensions, subventions, indemnités, sont une monnaie électorale dont tout membre de la majorité a sa part, et il lui déplairait fort de réduire le trésor commun où il a l’habitude de puiser. C’est donc se bercer d’un espoir imaginaire que d’attendre de la chambre des économies sérieuses. C’est le fait contraire qui se produit sous l’influence de ces mêmes intérêts personnels. Tout député rêve de se créer un titre durable à la fidélité de ses électeurs. Ici c’est un chemin de fer, là un canal, ailleurs un bassin à flot, ailleurs encore un lycée qui sont en projet ; il faut faire introduire ces entreprises dans la liste des engagemens de l’état ; il faut tout au moins obtenir une subvention. On se coalise donc ; on dépose des amendemens collectifs, on force la main à la commission du budget et au ministre des finances, et le résultat final est l’accroissement de tous les crédits qui peuvent être distribués en libéralités administratives. Croit-on que ce tableau soit trop chargé ? Interrogeons M. Léon Say, que nous aimons à citer, parce qu’il ne saurait être suspect d’hostilité contre le régime actuel : « L’ardeur de l’initiative, écrivait-il en novembre 1882, est toujours aussi vivace : elle est prête à distribuer largement les fonds du trésor en traitemens, en retraites, en indemnités, en subventions. On dirait que le problème que se posent un grand nombre de députés est celui de faire vivre les départemens, les communes et ceux qu’on appelait jadis les citoyens actifs, qui sont aujourd’hui tous les électeurs, aux frais de l’état… Il y a une sorte de course aux dépenses, et les députés sont toujours prêts à donner le signal du départ. »

Qui voudrait suivre pas à pas le développement qu’ont pris depuis dix ans les budgets des travaux publics et de l’instruction publique pourrait dresser une longue liste de dépenses que les intérêts personnels ou l’esprit de parti ont mises à la charge des contribuables. Se souvient-on du célèbre amendement dont M. Philippotaux avait pris l’initiative et que M. Sarrien fit voter ? l’ère des excédens avait déjà pris fin, M. Tirard était fort empêché pour équilibrer le budget : il avait imaginé de mettre à la charge des communes une partie des dépenses de l’instruction primaire, supportées jusque-là par le budget général. M. Philippotaux fit appel à tous les députés qui étaient investis des fonctions de maire, et son amendement, qui rétablissait au budget de l’état le crédit supprimé, réunit 144 signatures. Le moyen de résister à une aussi