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des ministres et l’exécution des lois, M. Grévy a voulu présider comme si la présidence n’existait pas, et mettre ainsi en pratique, autant que cela dépendait de lui, la théorie qu’il avait professée ; mais en se renfermant dans ce rôle purement contemplatif, il n’a abouti, par une ironie du sort, qu’à se réfuter lui-même. Cette abstention systématique, en effet, a permis de constater combien de mesures regrettables ou dangereuses auraient pu être arrêtées ou atténuées par le simple usage des prérogatives inscrites dans la constitution. Si le président a rencontré, une fois, l’approbation de l’opinion publique, et a rendu service au pays, c’est le jour où, se départant de sa doctrine, il a usé de son influence pour écarter du gouvernement un général turbulent, dont la présence dans le cabinet pouvait devenir le prétexte des complications internationales.

À aller au fond des choses, cette paralysie volontaire du pouvoir exécutif a été le point de départ de la fâcheuse situation où se trouvent nos affaires. Privés de l’appui qu’ils auraient dû trouver dans le prestige personnel et dans l’autorité du président, et abandonnés à eux-mêmes, les ministres ont été irrésistiblement amenés à abdiquer entre les mains des chambres, ou plutôt d’une seule chambre, car le sénat, voyant qu’on ne tenait aucun compte de ses opinions et que toute dissidence avec la chambre provoquait une pression énergique sur ses votes, s’est peu à peu résigné au rôle de simple bureau d’enregistrement. En dépit de la constitution, méconnue et faussée, nous assistons au gouvernement direct du pays par une assemblée : nous avons donc le régime parlementaire dans toute sa beauté, et nous en pouvons apprécier les résultats. Toutes choses sont décidées par la volonté unique d’une majorité mobile en ses idées et variable dans sa composition ; et cette majorité n’est elle-même que l’instrument d’un homme qui, pour un temps et quelquefois pour un seul jour, s’empare de son esprit et dicte ses résolutions. Les déterminations les plus graves peuvent être le résultat d’une surprise ou d’un vote irréfléchi.

La première conséquence de ce régime est l’impossibilité pour une nation d’avoir une politique extérieure. Séduit par quelques prévenances du prince de Galles et du roi de Grèce, M. Gambetta a ruiné notre influence à Constantinople au profit de l’Allemagne, lorsqu’il a mis le crédit et l’action diplomatique de la France au service des revendications helléniques. M. Clemenceau nous a fait perdre irrévocablement la situation privilégiée que nous avions en Égypte, lorsqu’il a renversé M. de Freycinet en faisant refuser le crédit destiné à nous permettre d’agir contre Arabi concurremment avec l’Angleterre. M. Challemel-Lacour, en considérant la Chine