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et dont les autres bâtisses, plus ou moins incorporées, sont devenues les prolongemens. — Un pareil enchevêtrement de constructions défigurées par tant de mutilations, d’adjonctions et de raccommodages, un pêle-mêle si compliqué de pièces et de morceaux si disparates, ne peut être compris que par des antiquaires et des historiens ; les spectateurs ordinaires, les passans le déclarent absurde; il choque la raison raisonnante qui, dans l’architecture sociale comme dans l’architecture physique, répugne au désordre, pose des principes, déduit des conséquences, et veut que toute œuvre soit l’application systématique d’une idée simple.

Bien pis, non-seulement le bon goût est offensé, mais souvent encore le bon sens murmure. En pratique, l’édifice n’atteint pas son objet : car il est fait pour loger des hommes, et, en beaucoup de pays, il est à peine habitable. A force d’avoir duré, il se trouve suranné, mal adapté aux mœurs régnantes : il convenait jadis et il convient encore à la vie féodale, disséminée et militante; c’est pourquoi il ne convient plus à la vie moderne, unitaire et pacifique. Les droits naissans n’y ont point trouvé leur place à côté des droits acquis; il ne s’est point assez transformé, ou il ne s’est transformé qu’à contre-sens, de façon à devenir incommode et malsain, à mal loger les gens utiles, à bien loger les gens inutiles, à coûter trop cher d’entretien, à gêner ou à mécontenter presque tous ses habitans. — En France, notamment, les beaux appartemens, surtout celui du roi, sont, depuis un siècle, trop hauts et trop larges, trop somptueux et trop dispendieux. Insensiblement, à partir de Louis XIV, ils ont cessé d’être des bureaux de gouvernement et d’affaires ; par leur aménagement, leur décoration et leur ameublement, ils sont devenus des salons d’apparat et de conversation, dont les occupans, faute d’autre emploi, s’amusent à raisonner sur l’architecture et à tracer sur le papier le plan d’un édifice imaginaire où tout le monde se trouvera bien. — Or, au-dessous d’eux, tout le monde se trouve mal, la bourgeoisie dans ses petits logemens étriqués à l’entresol, le peuple dans ses taudis du rez-de-chaussée qui est humide et bas, dans ses tanières du sous-sol, où la lumière n’arrive pas et où l’air manque. Quantité de vagabonds et de rôdeurs sont encore plus mal : car, n’ayant ni toit ni foyer, ils couchent à la belle étoile, et, comme ils n’ont rien à ménager, ils sont disposés à tout abattre. — Sous la double poussée de l’émeute et de la théorie, l’effondrement commence, et la fureur de démolir va croissant, jusqu’à ce que, de l’édifice rasé, il ne subsiste que l’emplacement nu.

Sur ce terrain aplani s’élève le nouvel édifice, et, par son histoire comme par sa structure, il diffère de tous les autres. — En moins de dix ans, il sort de terre, se dresse et s’achève, d’après un plan