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office supplémentaire, et, dès le premier jour, impuissans ou malfaisans[1]. Remaniés à plusieurs reprises, meurtris par l’arbitraire d’en bas ou par l’arbitraire d’en haut, anéantis ou pervertis tantôt par l’émeute et tantôt par le gouvernement, inertes dans les campagnes, oppresseurs dans les villes, on a vu en quel état ils étaient tombés à la fin du Directoire ; comment, au lieu d’être des asiles de liberté, ils étaient devenus des repaires de tyrannie ou des sentines d’égoïsme ; pourquoi, en 1800, ils étaient aussi décriés que leurs prédécesseurs de 1788, pourquoi leurs deux supports successifs, l’ancien et le récent, la coutume historique et l’élection populaire, étaient maintenant discrédités et hors d’usage. — Après la désastreuse expérience de la monarchie, après l’expérience pire de la république, on était conduit à chercher pour les corps un autre point d’appui et d’attache ; il n’en restait qu’un, le pouvoir central, qui fût visible et qui semblât solide ; à défaut d’autres, on avait recours à lui[2]. Du moins, aucune protestation, même intime et morale, n’empêchait plus l’état de se souder les corps comme des rallonges, pour se les approprier en qualité d’appendices et pour se servir d’eux en qualité d’instrumens.


II.

Là-dessus la théorie était d’accord avec le besoin, et non-seulement la théorie récente, mais encore la théorie antique. Bien avant 1789, le droit public avait érigé en dogme et exagéré au-delà de toute mesure la prérogative du pouvoir central.

Trois titres la lui conféraient. — Seigneur et suzerain féodal, c’est-à-dire commandant en chef de la grande armée sédentaire dont les pelotons spontanés avaient reconstruit, au IXe siècle, la société humaine, le roi, par la plus lointaine de ses origines, je veux dire par la confusion immémoriale de la souveraineté et de la propriété, était propriétaire de la France[3], comme un particulier

  1. La Révolution, I. p. 250 et suivantes, 294 et suivantes.
  2. Mémoires (manuscrits) de M. X…, I, 340 (à propos de l’institution des préfets et des sous-préfets) : « Ce qu’on aperçut dans ce changement, ce fut le bonheur d’être délivrés, en un seul jour, d’une tourbe de petits hommes, la plupart sans mérite, sans ombre de capacité, et auxquels les administrations d’arrondissement et de département étaient livrées depuis dix ans. Sortis presque tous des derniers rangs de la société, ils n’en étaient que plus enclins à faire sentir le poids de leur autorité. »
  3. Guyot, Répertoire de jurisprudence (1785), article Roi : — « C’est une maxime du droit féodal que la véritable propriété des terres, le domaine, directum dominium, appartient au seigneur dominant ou suzerain. Le domaine utile, ce qui appartient au vassal ou tenancier, ne lui donne véritablement que le droit sur les fruits. »