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qui ont cependant les mêmes droits, avaient les mêmes prétentions et se mettaient en insurrection permanente contre la loi? Qu’en serait-il bientôt de l’unité française?

C’est l’anarchie pure et simple, à peine contenue, toujours prête à faire explosion, qui est à l’Hôtel de Ville, et, malheureusement, il faut le dire, cette anarchie tient à des causes plus générales et plus profondes ; elle tient à l’idée fausse qu’on se fait des conditions d’une représentation municipale de Paris. C’est une question qui ne date pas d’hier ; elle a été plus d’une fois étudiée, examinée par les esprits les plus sérieux et les plus sincères, sans pouvoir jamais être ramenée à des termes clairs et précis. Elle a été surtout compliquée, il y a un quart de siècle, par l’extension démesurée de la ville, par l’adjonction brusque et arbitraire de ce qui s’appelait autrefois la banlieue, de toutes ces localités environnantes qui avaient une existence distincte. Dès ce moment, Paris n’a plus été qu’une vaste agglomération sans lien intime et sans cohésion, d’un caractère plus universel que parisien. La vérité est que, depuis longtemps, Paris n’a plus rien de municipal. Il y a des intérêts de quartiers, il n’y a point un intérêt municipal collectif. L’autonomie communale n’est qu’une chimère révolutionnaire, un moi creux là où il n’y a presque rien de commun entre les diverses parties d’une immense cité. L’intérêt commun de Paris, ce qui fait son originalité, sa grandeur, sa vie réelle, c’est l’état qui le représente, c’est la puissance publique qui en a la garde. Tout le reste n’est qu’artifice et confusion. Le suffrage universel appliqué dans ces conditions, toutes d’exception, ne sait plus ce qu’il fait et se débat dans le vide; on a un conseil qui n’est pas un parlement, qui dépasse déjà les proportions d’une simple assemblée locale, et finit par n’être plus qu’une réunion turbulente envahie par les médiocrités ambitieuses, livrée à toutes les excitations, toujours prête à sortir de ses modestes fonctions, de la simple légalité, pour briguer les grands rôles. On a ce qui existe aujourd’hui, ce résultat vivant et palpable d’une fausse application du suffrage universel, ce conseil municipal qui ne représente rien de sérieux et qui a toutes les tentations, toutes les prétentions, qui est une anomalie ridicule par certains côtés et ne laisse pas cependant d’être un péril perpétuel par cette apparence de délégation populaire dont il se fait un litre.

Voilà la difficulté devant laquelle on se trouve aujourd’hui et qu’on ne peut plus éluder. La première question est sans doute d’aller au plus pressé, de dissiper les fictions, les fantasmagories d’omnipotence municipale, de ramener le conseil parisien à la modestie de son rôle, à la légalité, en lui faisant sentir le frein et la puissance de l’état. La seconde question, qui n’est pas la moins délicate et la moins difficile, nous en convenons, est de rechercher dès ce moment les moyens d’assurer