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dans les affaires du pays cette anomalie bizarre et périlleuse d’un pouvoir qui se croit tout permis, qui met ses fantaisies au-dessus de toutes les lois, qui a la prétention d’être un état dans l’état. Jusqu’ici, les cabinets qui se sont succédé ont pensé se tirer d’embarras par des faiblesses et des concessions, eu ayant l’air de ne rien voir ou en se bornant tout au plus à annuler sans bruit quelque vote par trop criant. Ils n’ont réussi qu’à encourager dans ses arrogances ce pouvoir qui a été, il y a quelques semaines, sur le point de devenir un entrepreneur de guerre civile. Le nouveau ministère, au lieu de montrer quelque fermeté, comme il le pouvait sous le coup des démonstrations révolutionnaires du commencement de décembre, n’a trouvé rien de mieux à son tour que de gagner du temps, de se prêter à l’ajournement d’un débat qu’on lui offrait. Il n’est pas plus avancé, la difficulté reste ce qu’elle était; on se retrouve toujours en face d’un conflit devant lequel il n’y a pas moyen de reculer, si on ne veut pas trahir la dignité et tous les intérêts supérieurs de l’état.

On raconte que ces jours derniers les maîtres de l’Hôtel de Ville, allant à l’Elysée inviter M. le président de la république aux fêtes qu’ils veulent donner à leurs électeurs, auraient exprimé quelques plaintes des « tracasseries » dont ils sont l’objet, de l’annulation de leurs votes, et que M. Carnot leur aurait répondu, avec une judicieuse tranquillité, que le moyen de s’épargner ce qu’ils appelaient des « tracasseries, » était de rester dans la loi. C’est là précisément l’impossible ! Le conseil municipal de Paris, accoutumé à vivre dans son rêve d’omnipotence révolutionnaire, ne sait pas ce que c’est que la légalité. Il vient de le prouver une fois de plus dans ses relations avec la préfecture. Il ne se contente pas de refuser les appartemens de l’Hôtel de Ville à M. le préfet de la Seine, il entend gouverner la préfecture à sa place. Il lui a tout dernièrement imposé une réorganisation plus économique de ses services, en réclamant du même coup la création d’une direction du personnel, qu’il destinait naturellement à un de ses cliens chargé de le représenter dans les bureaux. M. le préfet de la Seine a réalisé les économies qu’on lui demandait, et, usant de son droit, il a réorganisé ses services comme il l’a entendu, sans créer une direction du personnel, dont il n’éprouvait pas le besoin, qu’on prétendait instituer contre lui. Aussitôt le bureau du conseil a publié une protestation solennelle, menaçant le préfet des foudres municipales, l’accusant de toute sorte de méfaits, de «persécution à l’égard du personnel républicain de l’administration, » de favoritisme réactionnaire! Le fait est que le conseil municipal se mêle de ce qui ne le regarde pas, et prétend régner en maître là où il n’a aucun droit d’intervenir. Il procède en cela comme en tout, par l’arbitraire et l’esprit de faction, mettant la confusion dans les services publics comme dans la vie morale et