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C’est le sentiment le plus vif, le plus spontané, le plus profond, le plus universel à l’heure où nous sommes; il est partout, et M. le président Floquet, l’élu d’hier au Palais-Bourbon, n’a fait lui-même que s’inspirer à sa façon de ce sentiment dans le discours par lequel il vient d’inaugurer la session nouvelle et sa nouvelle présidence. M. Floquet y joint un peu d’optimisme, il l’a avoué, ce n’est pas un mal; il a aussi un peu flatté la chambre, en lui promettant une longue vie, en s’étudiant à lui refaire une bonne renommée, à relever son autorité : c’est d’un président courtois. Il a surtout tracé un programme un peu idéal de session parlementaire, et il a fait pour lui-même une profession de foi qui ce manque ni de force ni d’éclat, sans parler des bonnes intentions. Qu’a donc dit M. Floquet dans ce discours évidemment calculé et fait pour le retentissement? Il a remué une vieille fibre en parlant de l’honneur, de la nécessité d’une justice sévère. Il a dit un mot qui est tout le secret de la politique, c’en qu’il faut que la France soit forte si elle veut être désirée comme alliée ou redoutée comme adversaire. Il a en même temps conseillé prudemment aux députés de renoncer aux problèmes oiseux, qui ne sont plus du goût de la nation, et de songer avant tout aux affaires sérieuses du pays : « à ses finances, à son industrie, au sort de ses travailleurs, à son état militaire, à sa situation internationale. » C’est ce que tout le monde dit. M. le président de la république l’a dit dans son premier message; le chef du ministère l’a répété dans sa déclaration. C’est le programme universel. Il reste à l’interpréter, à le préciser et à l’exécuter. Qui l’exécutera? Le ministère qui existe depuis un mois suffira-t-il à la tache? M. le président du conseil Tirard, qui est en même temps ministre des finances, réussira-t-il même à avoir son budget? Le gouvernement arrivera-t-il à rallier une majorité de raison dans une chambre divisée et incohérente? voilà le problème de la session qui s’ouvre, de l’année nouvelle! Ce qu’il y a de certain, c’est que, pour ce ministère comme pour tout ministère qui lui succéderait, il n’y a d’autre politique avouable que de raffermir tout ce qui a été ébranlé, de rétablir l’ordre dans les idées comme dans les faits, de prendre avec une ferme et libérale confiance la direction du pays, sans craindre d’aborder le véritable ennemi embusqué partout,— L’esprit de confusion et d’anarchie.

Il y a dans la politique du jour des difficultés que tous les subterfuges du monde ne pourront ni dissimuler ni pallier. Elles existent pour le ministère d’aujourd’hui, elles existeraient pour le ministère qui sortirait demain de quelque nouvelle crise parlementaire. On aura beau s’en défendre, on sera obligé d’avoir affaire au conseil municipal de Paris. On doit à la prévoyance publique, on doit en vérité à la France entière, à la France paisible et soumise, de ne pas laisser subsister