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corps. — Ne pouvant, sur la scène, tenir ouverte pendant toute la nuit l’alcôve où s’achève le roman, quelle fin plus belle M. Dumas en personne eût-il imaginée ? Je ne serais pas étonné d’apprendre qu’il est assez content, — Et même assez fier, — de celle-ci.

Il s’est fait la part du lion, ce M. d’Artois ! Il ne laisse qu’un petit bout d’article à Shakspeare, voire à M. Legendre. Il est vrai que l’un et l’autre, à la rigueur, s’en pourraient passer : tous les Parisiens de Paris, depuis un mois, ont pris le chemin de l’Odéon, et plus d’un y retourne; Beaucoup de bruit pour rien, ô miracle! est à la mode cet hiver, comme Durand et Durand l’hiver dernier! Quiproquo pour quiproquo, je préfère celui du vieux Will à celui de M. Albin Valabrègue; ce jeune dieu du Palais-Royal a trop de bonne humeur pour s’en fâcher. Elle m’amuse et me charme, la comédie où gazouillent moqueusement Béatrix et Bénédict, — « ces deux merles de l’amour, a dit un poète[1], comme Roméo et Juliette en sont les rossignols. » Mais les rossignols y sont aussi! La première fois que, dans une fête, Claudio aperçoit Héro, ne dit-il pas à Bénédict : « Si Héro voulait être ma femme, je ne répondrais pas de moi, quand bien même j’aurais juré auparavant de ne pas me marier? » Ainsi Roméo : « Mon cœur a-t-il aimé jusqu’ici? Non; jurez-le, mes yeux! car, jusqu’à ce soir, je n’avais pas vu la vraie beauté. » Et, d’autre part, Juliette : « s’il est marié mon cercueil pourrait bien être mon lit nuptial ! »

Merles et rossignols, dans la forêt shakpearienne, volent capricieusement de taillis en taillis: leur coutume est de jouer aux propos interrompus. La nôtre est d’écouter plus volontiers des entretiens plus suivis : M. Legendre a su apprivoiser ces babillards et leur enseigner l’art de filer patiemment leur causerie. Avec une dextérité, une souplesse qui sont d’un délicat, il a dessiné un jardin dans la forêt, au moins un jardin à l’anglaise! Au lieu d’éparpiller cette comédie ailée en des fourrés innombrables, il l’a distribuée en huit bosquets.

Mais ce n’est pas tout : ces jolis merles sifflaient des airs libertins du XVIe siècle, et d’autres plus honnêtes, mais encore trop particuliers à l’époque, et ceux-ci et ceux-là trop particuliers à la Grande-Bretagne. Une race, une génération a son badinage ; la plaisanterie d’une ingénue ou d’un père noble de Shakspeare n’est pas celle d’une ingénue de M. Meilhac ou d’un père noble de M. Augier; sur la scène, elle scandaliserait les gens de ce pays et de ce temps-ci, — à moins qu’elle ne leur fût inintelligible! — M. Legendre a donc fait comme ce bon prince que Bénédict accuse en riant d’avoir volé un nid d’oiseaux : « Je veux seulement, réplique don Pedro, leur apprendre à chanter et les rendre ensuite à leur propriétaire. » Voilà justement l’obligeant procédé de notre auteur envers

  1. M. Anatole France.