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un seul, plus rapide. L’exposition s’y fait maigrement: il y a quelque fatras alentour. Dans les renseignemens que donne le héros sur sa mère, — comme dans tout ce qui touche par la suite à cette bonne femme, — je ne retrouve pas la délicatesse à laquelle, dans le roman, une particulière piété filiale nous avait habitués. Apparemment, le jeune dramaturge, renouvelant les exercices de M. Dumas, a voulu prouver qu’il était fort, lui aussi, plus fort que cet Hercule; et c’est pourquoi il nous met sous le nez ses biceps, et les fait rouler terriblement. Par son ordre, le fils naturel se plaît à déclarer en termes exprès : « Ma mère est une fille-mère ! » Plus loin, à son instigation, et en vertu de ce même principe, l’ami du mari dit à la femme, sans que l’occasion l’y oblige : « Madame, vous avez un amant!.. » Et toute cette fâcheuse algarade que le romancier avait, pour ainsi dire, laissée dans la coulisse, M. d’Artois la met sur le théâtre avec une brutalité qui n’est pas sans gaucherie.

Mais déjà dans ce bal costumé, puis dans le petit logement de la comtesse Dobronowska et de sa fille, le caractère de l’une et de l’autre, celui de la première surtout, est mis en saillie. On l’a pris tout animé dans le livre, je le sais bien, mais je suis tenté de l’oublier, tant il paraît sur la scène plus éclatant de vie! c’est que toutes ses particularités sont ici traduites en actions; et que les moindres de ces actions ont la valeur de signes certains, et que les plus hasardeuses sont réglées avec un tact, une sûreté qui font honneur à la main d’un novice ; — Trop d’honneur ! dirais-je, s’il ne se trouvait heureusement une petite scène, au milieu de ce troisième tableau, assez mal conduite pour qu’on n’attribue pas cette partie de la pièce à M. Dumas. C’est de l’apparition de Serge que je veux parler, et je n’en parlerai pas davantage; mais je ne tarirais pas si je voulais énumérer tous les mérites de cette figure : l’incomparable mère d’Iza ! Courtisane autrefois fourvoyée dans le monde ou grande dame déclassée, besogneuse avec d’altières façons, mêlant au souci du pain quotidien et de la toilette du soir les orgueilleux souvenirs et les ambitieuses chimères, contrariant un mensonge par un autre et le renforçant par un troisième, jeûnant chez elle et nourrie au bal, digérant les sandwiches de la nuit en courant le matin au Mont-de-Piété ; l’esprit fertile en ressources, la conscience légère et dure, l’œil vigilant, la langue prompte, le verbe haut, le geste vif; au demeurant, adorant sa fille, mais l’adorant avec une admiration d’auteur pour son chef-d’œuvre et de maquignon pour sa plus jolie pouliche, ne laissant ni diriger ni traverser les projets de sa passion maternelle par le sens moral, astucieuse et cynique, familière comme une bonne femme et plus effrontée qu’un vieux diable, telle est Mme Dobronowska : depuis Mme Guichard, de Monsieur Alphonse, peu de personnages de théâtre ont reproduit aussi minutieusement, aussi aisément, toutes les grimaces de la vie. —