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vétilles, outre qu’il faut avoir bien peu de philosophie dans l’âme, une conception bien mesquine de l’homme et de la vie, il faut être bien sûr aussi de la singularité de ses aventures, de la rareté de ses sensations, et de la distinction, ou, comme ils disent aujourd’hui, de l’exquisité de sa nature.

Malheureusement pour eux, — Et pour nous aussi qui les lisons, — ce que tous les Journaux et Confessions de ce genre ont de plus insoutenable encore que leur fatuité, c’est leur insignifiance. Enfermés et comme emprisonnés dans le cercle étroit de leur égoïsme, on dirait, à les lire, que ceux qui les écrivent ont presque tout ignoré des hommes et de la vie. Dans le Journal des Goncourt, il n’y a de curieux ou d’original que ce que les autres y disent. Mais, pour eux, ils n’y font sur eux-mêmes que des observations d’une banalité tout à fait singulière, et dont ils sauraient qu’elles traînent un peu partout, s’ils ne croyaient pas que la « psychologie » a daté, dans l’histoire de l’humanité, de l’apparition des Goncourt, et que personne avant eux ne s’était regardé soi-même. Ils croient aussi qu’ils ont les premiers emprunté leurs modèles à la réalité, et ils remplissent le tiers d’un volume avec l’histoire de la vieille bonne qui a posé pour eux Germinie Lacerteux. Mais ce que l’on peut pardonner à une jeune fille comme Marie Baskircheff, son étonnement en présence d’elle-même, et sa surprise de découvrir en elle des traits qui sont de toutes les jeunes filles, on le pardonne moins aisément à des auteurs de profession, qui ont tout essayé, le roman et le théâtre, la critique et l’histoire, sans réussir nulle part, il est vrai, qu’à se mettre en chaque genre au-dessous des vrais maîtres. On est confus pour eux de tant d’inexpérience jointe à tant de prétention; et qu’en irritant notre amour-propre, ils n’aient pas eu l’art d’amuser seulement notre curiosité.

Mais que dirai-je enfin de la grande duperie de ces livres de «bonne foi,» lesquels ne manquent pour la plupart de rien tant que de sincérité? Car, j’y consens, dans l’ignorance habituelle où nous vivons les uns des autres, ce pourrait être une chose curieuse, un « document » précieux, qu’une confession sincère, véridique et complète. Mais où est-elle, cette confession? et qui l’a jamais faite? et qui jamais osera la faire? Sans compter, en effet, qu’il y aura toujours une partie de nous-mêmes qui nous échappera, et, comme disent les philosophes, sans compter que l’effort même que nous faisons pour nous observer détruit en nous ce que nous observons, ou tout au moins le déforme, on ne se peindra jamais qu’en buste, c’est-à-dire on ne confessera jamais publiquement que des défauts ou des vices qu’il est presque glorieux d’avoir, et dont l’usage du monde, s’il ne fait pas des vertus, fait au moins des qualités. Qui s’est jamais vanté d’être fourbe, hypocrite ou lâche? qui s’est jamais publiquement accusé d’avoir