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mission de prêcher l’Évangile à ces pauvres. C’était un ordre d’en haut, il ne songea plus qu’à obéir. A peine débarqué aux Philippines, il en fit part à son supérieur ecclésiastique, Michel Solano, qui essaya vainement de le dissuader, charmé lui aussi du zèle religieux de ce nouvel apôtre qui, en peu de temps, apprenait la langue tagale et conquérait, par sa douceur persuasive, une grande influence parmi ces populations jusqu’ici rebelles aux enseignement des missionnaires.

Pour triompher de la résistance qu’il rencontrait, Sanvitores s’adressa à Philippe IV et à la reine. Dans deux mémoires touchans qu’il leur adressa, il représenta avec force l’état d’ignorance et d’abandon de ces malheureux insulaires, leur ardent désir de recevoir les enseignemens et les consolations de l’église, leur foi naïve et vague ne sachant à quoi s’arrêter et se fixer, le danger qu’ils couraient « d’être infectés du mahométisme qui se répand de tous costés, et qui fait tous les jours de nouveaux progrès, à la honte du catholicisme. »

Philippe IV se mourait quand ce mémoire lui parvint. Devançant l’événement et le prédisant, le hardi missionnaire n’hésitait pas à lui rappeler ses devoirs et « l’heure fatale où le roy des rois, le seigneur des seigneurs, doit l’appeler au jugement et luy dire ces paroles redoutables : Rendez compte de votre administration. » Le 24 juin 1665, Philippe IV donnait ordre au gouvernement des Philippines de fournir au nouvel apôtre « tous les vaisseaux et tous les secours nécessaires pour travailler à la conversion des indigènes des îles Mariannes. » Lui-même succombait le 17 septembre de la même année.

Malgré ces ordres formels, le mauvais vouloir des autorités des Philippines entrava, plus de deux ans encore, le zèle de Sanvitores, mais la reine lui vint en aide. Le 15 juin 1668, il débarquait aux Mariannes, où il devait jouer un si grand rôle, convertir les indigènes et obtenir, le 2 avril 1672, cette palme du martyre à laquelle il aspirait de toutes les forces de son âme.

Sa mort fut le prétexte et le point de départ d’une de ces guerres d’extermination dans lesquelles se révélait le sombre et fanatique génie de l’Espagne. Doux et humble de cœur, Sanvitores en avait retardé l’explosion. Vénéré comme un saint par les indigènes aussi bien que par ses compatriotes, sa haute autorité, son éloquence persuasive, son amour pour ses ouailles, avaient prévenu l’inévitable conflit entre la race conquérante et la race convertie à la foi, mais non soumise par la force. Le Chamorros, issus d’un fonds indonésien mélangé de Papouas et de Négritos, étaient fiers, soucieux de leur autonomie et de leur indépendance. Sur un sol fertile, sous un climat chaud mais salubre, dans leurs épaisses forêts et au milieu